A trois mois de la présidentielle, Cécile Guilbert signe un roman pamphlétaire sur le monde politique et la France aujourd’hui. Cinglant.
Un livre qui commence par “Longtemps, mon existence a été si romanesque que j’ai préféré la vivre au lieu de l’écrire” et met en exergue une citation tirée de Game of Thrones ne peut pas être mauvais. Sans compter son titre, Les Républicains, mi-grave, mi-ironique, en tout cas furieusement d’actualité.
Car c’est justement d’actualité – politique – qu’il est question dans ce drôle de roman pamphlétaire, qui saisit de façon époustouflante l’air du temps, voire l’aujourd’hui pile et sa température (froide, très froide), à trois mois de l’élection présidentielle.
Rares sont les écrivains qui ont le courage de plonger leurs mains dans le cambouis du contemporain. Cécile Guilbert, connue pour ses essais sur Saint-Simon ou Andy Warhol, n’a pas hésité, comme si elle n’en pouvait plus de la médiocrité du temps et avait besoin de s’extraire un peu de l’élégance de ses sujets préférés pour tirer la sonnette d’alarme.
Stimulants intellectuels et érotiques
Ici, elle confronte plusieurs visions et façons de vivre la politique, le politique, la République. A ceux qui pourraient trouver la forme un poil trop binaire – une conversation le temps d’une soirée entre deux êtres que tout semble opposer –, on dira qu’elle rappelle celle des romans épistolaires du XVIIIe, faisant la part belle aux mots, aux idées et aux jeux, merveilleux stimulants intellectuels et érotiques.
Quand la “fille en noir” (alter ego de Guilbert) retrouve Guillaume Fronsac lors d’une émission d’Ardisson consacrée à la promo 86 de Sciences-Po, ils ne se sont pas revus depuis trente ans. A l’époque, ils avaient échangé un baiser fougueux lors d’une soirée de fête et de défonce, puis plus rien.
Assoiffés de pouvoir, mais pour en faire quoi ?
Depuis, Fronsac a su profiter du système : après l’ENA, il est monté très haut dans les milieux de la politique et de la finance, et a épousé l’héritière d’une bonne famille. La “fille en noir” a choisi de consacrer sa vie à la paresse, à l’amour et à la littérature. Deux façons d’être au monde radicalement différentes, qui vont passer la soirée à s’affronter autant qu’à se séduire.
Les Républicains, c’est d’abord un dispositif dialectique où Guilbert dresse un état des lieux glaçant de la politique française, pas si éloigné en effet de Game of Thrones : des chefs assoiffés de pouvoir, mais pour en faire quoi ? Des luttes et des trahisons, des meurtres et des ego, un cynisme de moins en moins dissimulé.
Des groupes de l’ombre qui se forment dans les coulisses (Les Gracques, Le Siècle, etc.) où se côtoient et décident ensemble politiques, grands patrons, financiers, hommes de médias, de droite et de gauche, puisque tout clivage serait dépassé – une idée qui aura sonné le glas de la politique et servi tous les opportunismes.
Le retour du même ou du pire
Guilbert dézingue à tout-va. Elle pointe aussi, en mettant en scène ses deux “républicains” dans le quartier des Pyramides, entre la statue de Jeanne d’Arc et la place de la Concorde, lieux chargés de références historiques, la méconnaissance de l’histoire chez ses contemporains, ou leur amnésie, qui permettra un retour du même ou du pire – autoritarisme, bigoterie, racisme, repli sur soi, souverainisme.
Cinglant, ce roman très singulier laissera ses personnages un peu largués. Difficile de trouver sa place dans ce monde dirigé par des managers, malmené par le marché (où la liberté, ou plutôt son illusion, se réduit à tweeter ou à exhiber son narcissisme sur Instagram) ou les terroristes. Tout semble, aujourd’hui, caduque, nous dit Guilbert, comme si nous nous étions laissés piéger dans une impasse. A moins de tenter autre chose. Mais quoi ?
Les Républicains (Grasset), 256 pages, 19 €