Mardi, Alain Soral et Dieudonné ont « officialisé » le lancement de leur parti politique, dans une vidéo postée sur internet. Mais bien que le mouvement n’existe pas encore, il est déjà menacé d’interdiction.
Alain Soral et Dieudonné ont “officiellement” lancé leur parti politique mardi 11 novembre, à travers une vidéo de 45 minutes postée sur internet dans laquelle ils multiplient les provocations et commentaires antisémites. Ils expliquent aussi pourquoi ils ont choisi de s’organiser en mouvement politique. Pour l’essayiste antisioniste Soral, créer ce parti baptisé « Réconciliation nationale », c’est entériner sa rupture avec le Front national, dont il a été proche – et même membre de 2007 à 2009. Pour Dieudonné, il s’agit d’une manière de « fuir les tribunaux » comme l’explique Mediapart qui a sorti l’information dès le 21 octobre dernier.
“Le prétexte de l’humour ne fonctionne plus”
Pour Nicolas Lebourg, historien des droites extrêmes, ce choix est étrange. En effet, “le droit français est très restrictif sur les questions politiques et à l’inverse très protecteur de la liberté culturelle. Tout ce qu’ils disent en ‘show’ comme dans cette vidéo est très difficile à condamner juridiquement, devient très facile à attaquer lors d’un meeting politique.” Stéphane François, docteur en sciences politiques et spécialiste des droites radicales, confirme : « C’est totalement paradoxal, s’il tient des propos qui incitent à la haine raciale, son parti risque d’être interdit, tout simplement. Depuis les lois Gayssot qui tendent à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, toute parole antisémite est encadrée et surveillée. Le prétexte de l’humour ne fonctionne plus. »
Réconciliation nationale peut-il être menacé de dissolution avant même sa création officielle ? Pour Nicolas Lebourg, la logique voudrait plutôt qu’ils les laisse se former. En effet :
“Si d’aventure l’Etat souhaite les frapper judiciairement, Alain Soral et Dieudonné se sont mis, en passant du combat culturel au politique, dans une position où ce sera bien plus aisé de les réprimer. D’autant plus qu’entre-temps, il y a fort à penser qu’ils constituent des fichiers de militants que les services de l’Etat auront le droit de saisir dans le cadre d’une éventuelle enquête.”
Toujours aucune demande d’agrément déposée
En attendant, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, contacté mercredi, assure n’avoir reçu aucune demande d’agrément, qui permettrait à Alain Soral et Dieudonné M’Bala M’Bala de demander des aides financières publiques en cas d’élections. De plus, le rôle de la commission ne se borne qu’à assurer du respect des statuts par l’association politique. Il incombe au ministère de l’Intérieur de déterminer si un parti est légal ou non.
Il existe deux procédures de remise en cause de la légalité d’une formation politique en France. Une dissolution judiciaire, rarement utilisée, prévue par l’article 3 de la loi de 1901 sur la liberté d’association. L’autre procédure, administrative cette fois, est prévue par la loi du 10 janvier 1936. Elle permet au président de la République de dissoudre par décret les groupes jugés dangereux sur le territoire français. Ce fut le cas l’année dernière, après le décès du militant antifasciste Clément Méric tué par des skinheads. Trois groupes avaient alors été dissous par François Hollande : Troisième voie, les Jeunesses nationalistes révolutionnaires et Envie de rêver. En cas de procédure de dissolution administrative enclenchée, le seul recours possible est devant le Conseil d’Etat.
Pour Stéphane François pourtant, la dissolution de ces groupes n’a pas l’effet escompté :
« L’interdiction des partis ne sert à rien, on l’a vu après le tragique épisode Clément Méric. Le groupe Jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac et Yvan Benedetti s’est reformé dans la foulée en prenant un nouveau nom, “Jeune Nation” du nom d’un mouvement lancé par Pierre Sidos en 1949 et interdit par le général de Gaulle. Il y a aussi l’exemple de la Tribu Ka, mouvement qui se présentait comme « défenseur du peuple noir », lancé par Kemi Seba en 2004. Il a été dissous par décret en juillet 2006. Mais qu’a fait Kemi Seba mais moins d’un an après ? Il a annoncé la création d’un nouveau groupe, en changeant uniquement le nom. Dissoudre un groupe reste un geste fort, mais qui au final victimise les personnes visées. »
Outre le motif d’incitation à la haine, il existe deux autres cas de figures pour qu’on puisse ordonner de la dissolution d’un mouvement politique. “S’il constitue une bande armée ou s’il veut atteindre à la forme républicaine du gouvernement, précise Nicolas Lebourg. Mais dans le cas précis du parti de Dieudonné et Alain Soral, ces deux critères ne peuvent ici d’appliquer” précise-t-il.