Le destin d’une ville touchée par Katrina à travers ses plus beaux éclopés : « Treme » s’impose définitivement comme une série profonde.
Peu à peu, le deuil de la sublime The Wire est accompli. Peu à peu, Treme impose son existence propre et sa beauté. David Simon, créateur essentiel de la dernière décennie, a réussi à passer à autre chose, un pari insensé que d’autres auraient raté en essayant de reproduire une formule. Du côté des spectateurs, il aura fallu quelques années pour accepter vraiment la transition vers un autre univers. Mais c’est désormais chose faite. Il était temps. La chaîne HBO a décidé de mettre un terme à Treme dès l’automne prochain, à l’issue d’une quatrième saison réduite à cinq épisodes. Cinq épisodes qui compteront forcément parmi les moments forts de l’année. Et une raison supplémentaire pour s’immerger le plus vite possible dans la série la plus libre et la plus profonde produite aujourd’hui.
Tout commence et tout finira à La Nouvelle-Orléans, ville martyre (la fiction met en avant les conséquences de l’ouragan Katrina, passé en 2005) mais aussi ville délurée, décisive dans la culture américaine. La tension entre le spleen des enterrements et destructions et la joie des fanfares ou des groupes de bar donne le ton indécis d’un récit qui diffuse par vagues discrètes sa toile toujours plus ample.
Les personnages s’ébrouent lentement. D’un vieux chef « indien » à son fils jazzman, d’une avocate des causes perdues à un DJ au chômage, d’un musicien queutard devenu prof dans un lycée jusqu’à quelques égarés de la crise, Treme invite au premier plan des figures inconnues, des intouchables, des vrais, qu’elle regarde vagabonder, aimer, progresser ou repartir de zéro. Ce qui dure un épisode un peu partout ailleurs s’étend sur cinq heures ici, parfois plus, parfois sur des années. Rarement une série aura à ce point incarné dans sa chair la capacité profonde du genre à suivre le rythme de la vie. Il y a quelque chose de très simplement organique dans Treme, une manière non événementielle de susciter l’intérêt qui n’a aucun équivalent à la télévision et ailleurs.
Comment dire qu’aucune recette connue ne vient nous amadouer ? The Wire, même géniale, même révolutionnaire, reposait tout de même sur le socle séduisant des fictions de gangster – dans ses trois premières saisons notamment. Ici, le crime est une odeur que l’on sent mais qui arrive de manière éparse, et toujours du point de vue sec des victimes. Les cliffhangers n’existent pas, ou si peu. Le récit se permet des ellipses, des trous dans la logique du monde. La musique structure les épisodes mais elle ne les domine pas. Le portrait d’une Amérique en quête d’elle-même se dessine, un portrait devenu de plus en plus subtil au fil des ans.
Au début de la série, la volonté de critique politique radicale de David Simon passait plus que d’habitude par le discours. La rage des opprimés semblait par moments didactique, voire artificiellement déclamée. Mais après trois saisons, cette tentation a totalement disparu. Le monde de Treme est devenu le nôtre. Ses enjeux, que ce soit la reconstruction d’une communauté, la lutte contre la corruption ou la survie d’un héritage culturel, existent par eux-mêmes, dans la plénitude de la fiction.
Pour atteindre cette beauté simple, l’auteur a su s’entourer. La série a été créée par Simon avec Eric Overmyer, un ami des années Homicide, bon connaisseur de La Nouvelle-Orléans. L’écrivain George Pelecanos est resté fidèle depuis The Wire, dont il était un contributeur décisif. Ensemble, ils ont construit un petit collectif à l’écart d’Hollywood dont il faudra un jour écrire l’histoire. Mais pas encore. Pour l’instant, il est toujours temps de profiter de leur travail en direct. Une chance à ne pas laisser passer.
Treme saison 3, à partir du 18 janvier, 20 h 40, OCS Novo