1/ La multiplication des pains et l’eau claire En 1903, Aflred Jarry donnait une relecture bien particulière des souffrances du Christ avec La Passion considérée comme course de côte. « Donc Jésus, très en forme, démarra, mais l’accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d’épines cribla tout le pourtour de sa roue avant […]
1/ La multiplication des pains et l’eau claire
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En 1903, Aflred Jarry donnait une relecture bien particulière des souffrances du Christ avec La Passion considérée comme course de côte. « Donc Jésus, très en forme, démarra, mais l’accident de pneu arriva tout de suite. Un semis d’épines cribla tout le pourtour de sa roue avant (…) Jésus, après l’accident de pneumatiques, monta la côte à pied, prenant sur son épaule son cadre ou si l’on veut sa croix » écrit-il, soulignant avec une désinvolture qui ne doit pas masquer sa profondeur le caractère profondément christique du vélo compris comme poésie, épopée et non pas comme spectacle sponsorisé. 110 ans plus tard, les « aveux » de Lance Armstrong face à Oprah Winfrey n’ont plus rien à voir avec l’ascension ou l’assomption mais tirent plus de la farce du pauvre pécheur coincé entre l’expiation et la rédemption. Le dispositif est celui d’un face à face sans public dans une chambre d’hôtel impersonnelle. Les deux se regardent mais leur corps est incliné vers la caméra. Entre eux, au centre de l’image, deux verres d’eau ultra-transparents. Ça tombe bien, dans le cyclisme, on parle « de pain et d’eau claire » quand il est question d’un coureur qui réalise ses performances proprement.
2/ Malaise dans la culture
Ici, pas vraiment de « mea culpa, mea maxima culpa » ni de petits coups sur la poitrine. « La faute est la mienne et je ne peux blâmer que moi-même », balance Lance du bout des lèvres tandis que tout le monde s’interroge sur les motivations de ces aveux que l’on n’attendait plus. Parallèlement, le propos est radioactif : le doping dans le vélo, pour cette génération, est culturel, d’ailleurs Lance Armstrong n’avait même « pas l’impression de tricher ».
« J’étais dans cette culture, mais je ne l’ai pas lancé. J’ai pris ces décisions, c’est mon erreur, et j’en suis désolé. Et le sport paye aujourd’hui le prix pour cela [mais] je n’ai pas eu accès à quelque chose qui n’était pas accessible aux autres. »
L’air est vicié, Lance a parlé. Oprah Winfrey régulièrement au sommet des classements des femmes les plus influentes du monde a réussi son coup. La confessor en chef d’une Amérique qui fronce les sourcils pour avoir l’air grave devant la caméra peut ajouter le nom de Lance Armstrong à ceux de Marion Jones, Whitney Houston ou Sarah Ferguson sur sa liste de pénitents.
3/ Armstrong Enough
« Je vais passer le reste de ma vie à essayer de regagner la confiance des gens et à essayer de me faire excuser. » En effet, Armstrong n’est plus ce champion revenu de tout mais un héros froid, négatif, symbolisant à lui tout seul ce qui est arrivé de pire au cyclisme. « Aucune mystique ne résiste à la rhétorique du sang pollué », écrit Philippe Bordas dans son magistral Forcenés, bel hommage posthume à cette noblesse inventée, celle des champions insensés parmi lesquels Fausto Coppi ou Anquetil, celle de « cette douleur singulière qu’est le cyclisme », à mille lieux des « surhommes élaborés entre des murs blancs ». Avant, écrit-il, « les dopages étaient dérisoires, les exploits énormes. Que penser de ce dopage devenu énorme, de ces exploits dérisoires ? » Aujourd’hui ne reste plus qu’une alternative : entrer, ou pas, dans l’espérance et croire en la venue de jours meilleurs.
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