Pendant la campagne présidentielle, Jacques Cheminade avait tiré à boulet rouge sur les jeux vidéos violents. Six mois après, nous l’avons convié au Paris Games Week, la grande messe française du jeu vidéo.
Candidat surprise lors de la dernière élection présidentielle, Jacques Cheminade demeure un objet politique non identifié. De sa campagne, le grand public n’aura finalement retenu que deux choses : son goût immodéré pour la conquête spatiale et sa croisade contre les jeux vidéo violents. Si si, rappelez-vous, en pleine affaire Merah, le candidat de Solidarité et Progrès s’était mis à pointer du doigt leur responsabilité et avait même réclamé leur interdiction.
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Alors que le Paris Games Week bat son plein du 31 octobre au 4 novembre, nous avons proposé à Jacques Cheminade de se confronter à la réalité de ses propos une manette à la main. Le 31 octobre dernier, nous le retrouvons donc Porte de Versailles, au stand PEGI (un système d’évaluation des jeux vidéo qui fixe une classification par âge ndlr), prêts à en découdre avec le gaming. Quand il nous voit, Cheminade déboule vers nous, duffle coat sur le dos, d’une bonne humeur évidente.
Au bout de quelques minutes passées dans le salon, le leader de Solidarité et Progrès nous confie qu’il est un “vieux gamer”. Son premier contact avec les jeux vidéo remonterait à 1972. « Dans un aéroport de New York, j’ai joué à Space invaders. Ça faisait zoom-zoom », dit-il en imitant le bruit des vagues d’aliens qu’il fallait détruire avec un canon laser. « C’était un jeu très bête », confie-t-il sans aucune nostalgie, mimant avec ses mains les déplacements rudimentaires des envahisseurs.
« Breivik était un fan absolu de jeu vidéo »
Après quelques foulées dans le salon, on décide de s’arrêter devant le stand de Dishonored. Un FPS (first-person shooter, jeu de tir en vue subjective), le genre de jeux que redoute Cheminade. En voyant l’écran de loin, le doyen de la dernière campagne présidentielle tente une comparaison avec le célèbre Counter Strike.
« Ce genre de jeu désinhibe la capacité de tuer, c’est dangereux », prévient-il. « Associer la dépendance à la violence, ça devient le domaine d’Eros et de Thanatos », ajoute-t-il, philosophe.
Pour appuyer son raisonnement sur la dangerosité des jeux vidéo, il cite alors en exemple le tueur d’Utoya. « Breivik était un fan absolu de jeu vidéo. Ça ne veut pas dire que tout ceux qui jouent aux jeux vidéo peuvent devenir violents, mais ça peut jouer sur les esprits faibles et infantiles qui confondent virtuel et réél », affirme t-il avec une assurance professorale. Un membre de sa garde rapprochée se permet alors d’ajouter : « En trois mois, il y a eu six milliards de morts dans la version online de Medal of Honor, ce n’est pas négligeable. »
Devant de tels chiffres, on insiste pour que Jacques Cheminade apporte sa contribution au massacre de pixels. Tenant fermement sa manette de X-box 360, il tente de se familiariser aux différents pouvoirs que possède le personnage principal, notamment celui de la téléportation. Pour le rassurer, un des responsables du stand lui confie qu’il peut « terminer le jeu sans tuer personne ». Mais au bout de 10 minutes, Cheminade jette l’éponge, toujours aussi peu convaincu.
« Need For Speed, ça me change de ma Toyota Prius »
Quelques centaines de mètres plus loin, nous tentons la grosse opération séduction sur le stand d’Electronic Arts en lui proposant de prendre le volant d’une Maserati dans le dernier Need For Speed. N’ayant pas peur des symboles, Cheminade fonce droit dans le mur à plusieurs reprises, le temps de s’adapter à la sensibilité de la manette. « Ça me change de ma Toyota Prius », confie-t-il avant d’être invité à changer de véhicule pour une monoplace qu’il emboutira assez rapidement dans un pick-up garé trop près de la chaussée.
Partagé entre la parfaite fidélité de la reproduction des caisses et l’incitation à la violence routière du soft, l’ex-candidat avoue tout de même que « les jeunes savent mieux conduire de nos jours grâce aux jeux vidéo, ça développe la rapidité de leurs réflexes ».
« Je connais Assassin’s Creed mais je préfère Rayman«
Ultime étape de notre périple ? Assassin’s Creed. Lorsqu’un des responsables d’Ubi Soft voit débarquer Cheminade sur son stand, il s’empresse d’aller à sa rencontre pour lui vanter les mérites historiques de son jeu. Très rapidement, Cheminade le coupe.
« Je connais Assasin’s Creed. Vous développez un culte de la violence dans l’Histoire que je n’aime pas, je préfère Rayman. »
Téméraire, Cheminade accepte cependant de l’essayer. C’est donc sous les yeux d’un haut responsable d’Ubisoft qu’il redéfinit totalement les contours du gaming en transformant l’assassin en promeneur champêtre, qui se prend d’affection pour une dinde nourrie au grain par ses soins entre deux grimpettes dans les arbres. Voilà de quoi donner des idées au studio pour séduire les seniors.
Ses deux acolytes vivent différemment la scène, l’un, des étoiles plein les yeux, s’intéresse au jeu, pendant que l’autre bâche assez froidement l’animateur venu lui proposer de tester à son tour le jeu :
– J’aime pas ça, c’est ennuyant (sic)
– Mais c’est pour se divertir
– Et bien ça marche pas, parce que c’est ennuyant.
Instantanément, nous demandons à l’ex-candidat à la présidentielle de nous préciser la position de cet homme rétif aux jeux vidéo au sein de son parti. « Il n’y a pas beaucoup de positions chez nous, c’est pas le kama sutra. » Une punchline en guise d’organigramme, on rigole mais on n’en saura pas plus.
Une violente charge contre les patrons d’Ubisoft
Après être sorti du stand d’Assassin’s Creed, nous tentons de recueillir les impressions à chaud de Jacques Cheminade. Avec le sourire, il vante la reconstitution de Boston et des colonies américaines du XVIIIe siècle puis à notre grande surprise, se lance dans une charge violente contre les patrons d’Ubisoft.
« Les frères Guillemot (Yves, Claude, Michel, Gérard et Christian Guillemont sont les fondateurs d’Ubisoft, ndlr) ce sont des gens qui ont un certain type d’idées politiques, ils sont attachés à l’identité bretonne et sont associés au Club des Trente. Leur idéologie régionaliste transparaît à travers les jeux vidéo d’Ubisoft, ils se procurent énormément d’argent grâce à cela. Mondialisme et régionalisme se rejoignent pour remettre en cause l’existence des Etats-nations et ça me parait dangereux », prévient Cheminade qui n’a visiblement rien perdu de son goût pour les théories complotistes.
« C’est très intéressant de voir ce que c’est », confie Cheminade à la fin du salon. S’il n’a pas changé d’avis sur les jeux vidéo, il avoue bien volontiers qu’ils peuvent servir de base à l’éducation et la culture, à condition d’être intelligents, réalistes, et de servir de porte d’entrée vers la culture. « Les jeux de danse, pourquoi pas, à condition que ça puisse amener à la danse classique. » Il y a donc peu de chances pour que Jacques Cheminade se dandine sur Dance Dance Revolution lors du prochain salon.
Au moment de le quitter, nous ne réussirons pas à lui faire décerner un Cheminade Videogame Award à l’un des jeux qu’il a pu tester ce jour là, mais il vantera volontiers les mérites de “Bridge Constructor”, un jeu de construction de ponts qui mêle géométrie et calculs. En bref, pour qu’un jeu vidéo soit bon, il faut qu’il soit aussi relou qu’une interro de maths.
Clément Andreoli et David Doucet
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