Déjà oscarisé pour sa prestation dans « Ray », l’acteur américain Jamie Foxx ne tarit pas d’éloges sur Tarantino, le réalisateur qui lui a permis d’atteindre le sommet de son art avec son rôle d’esclave dans « Django Unchained ».
C’est un garçon exalté qui entre dans une suite au luxe froid, en plein Beverly Hills. Un acteur qui a raflé tous les prix ou presque aux États-Unis (oscar et Golden Globe en 2005), un performeur multicartes (plusieurs singles classés dans le top 10 du Billboard, deux Grammys, un album numéro 1 en 2007, quand même) tout à coup retombé en enfance, excité d’avoir découvert une nouvelle perspective de son métier. Plusieurs mois après le dernier tour de manivelle, Jamie Foxx ne s’est remis ni d’avoir tenu le premier rôle de Django Unchained, ni d’avoir rencontré Quentin Tarantino.
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“Tourner un tel film a changé ma vision du cinéma, je suis un meilleur acteur aujourd’hui et c’est uniquement grâce à ce mec”, clame le quadragénaire bodybuildé, avec ce qu’il faut d’emphase.
Difficile de savoir si l’acteur dit la vérité ou s’il raconte ce qui lui passe par la tête, tous enjoliveurs dehors, pour les besoins de la promo. Après une vingtaine de minutes en tête à tête, on conclura que Jamie Foxx est loin d’être un idiot. Un mélange de frontalité bravache et de je-m’en-foutisme d’apparat le caractérise. Pas une mauvaise pioche pour un entertainer. Si on le soupçonne perfidement d’en faire un peu trop, c’est parce que Jamie Foxx nous a déjà habitués à l’outrance. Dans le biopic Ray, qui lui a valu de devenir une star dans le monde entier, il brillait par sa capacité à mimer le personnage de Ray Charles, grimaces démonstratives à la clef. Une démarche d’acteur efficace mais pas forcément fine.
Quand Foxx est bien dirigé, en revanche, il impressionne. Oliver Stone a révélé son charisme dans L’Enfer du dimanche en 1999. Dans Miami Vice, sept ans plus tard, Michael Mann l’a presque dévitalisé pour en faire une figure spectrale – Foxx était également présent dans Ali et Collateral. Habité, physique, émouvant, l’acteur traverse les plans en majesté. Cette collaboration avec le cinéaste de Heat est évoquée en une phrase : “Mann est extrêmement rigoureux.” Il n’en dira pas plus. Il préfère parler de son nouveau dieu. Le laisser faire n’est pas une mauvaise idée.
“Tarantino est vraiment un animal différent de tous ceux que j’ai rencontrés. Avec lui, on est immergé à l’intérieur du cinéma, tout le temps. Il écrit et réécrit, il avance pas à pas, comme un grand enfant plein d’énergie. Il a commencé à tourner une fin à Django Unchained et s’est rendu compte qu’elle ne marcherait pas. Il a demandé subitement à tout le monde de rentrer à la maison pendant qu’il en imaginait une nouvelle. Son attitude est électrisante. Quentin est capable de se rouler par terre et de mimer une scène comme un hystérique, réplique par réplique, jusqu’à dire : ‘Et voilà, ça se termine comme ça !’ C’est un mec vraiment hip-hop. Il crache des mots comme un fou, fait des blagues, il est drôle. La façon dont il parle et met les choses en perspective me fait penser à la culture noire. Et puis, il sait garder le moral de l’équipe au plus haut. Toutes les cent prises, on avait droit à un shot de tequila, c’était le rituel.”
L’affaire n’avait pourtant pas commencé facilement pour Jamie Foxx, qui n’était pas le premier choix de Tarantino. Le rôle de l’esclave libéré Django était promis à Will Smith, jusqu’à ce que ce dernier jette l’éponge.
“J’avais eu cette info et j’étais un peu ennuyé car le sujet de ce film me parlait vraiment. Quand j’ai su que la voie était libre, je me suis retrouvé chez Tarantino à lui expliquer d’où je viens, le Texas, et comment ma connaissance intime du Sud des États-Unis m’avait aidé à comprendre son scénario. Je lui ai dit que dans ma vie, on m’avait traité de noms qui sont écrits dans le script. Je lui ai parlé de la façon dont je pourrais non seulement tourner ce film mais le défendre. Je lui ai aussi raconté que je possède mon propre cheval. Ce détail a été assez important.”
Important mais évidemment pas décisif. Tarantino a aussi choisi Jamie Foxx pour ses vertus iconiques, comme il le raconte à sa manière : “Je me souviens avoir pensé que si on était encore dans les années 60, à l’époque où les westerns envahissaient la télé en Amérique, et si Hollywood se mettait subitement à engager des acteurs noirs pour tenir les premiers rôles, alors Jamie aurait sa propre série. C’est certain. Il possède ce caractère intemporel assez puissant. Je n’ai pas cherché d’autre acteur après l’avoir rencontré.” Le plus difficile a alors commencé. Étant donné le faible nombre de films consacrés à l’esclavage, et la volonté de Tarantino d’approcher ce grand sujet sous l’angle distancié du western-spaghetti, Foxx n’avait pratiquement aucun modèle en tête, aucune inspiration sinon ses propres sensations. “C’était un véritable défi. Je sais que j’ai inquiété Quentin pendant les répétitions. J’étais encore un peu trop moi-même. Il m’a demandé de laisser Jamie Foxx à la porte et de devenir un esclave, de reprendre à zéro mon humanité. Ce n’est pas si facile car le business hollywoodien vous apprend à devenir une star et à tout faire pour le rester. Je suis revenu le jour d’après avec une autre mentalité, une mentalité des années 1850.”
Le saut dans le temps peut paraître improbable. Mais il est au coeur de Django Unchained. Le film brouille les pistes entre les époques et les niveaux de récit pour créer un choc. L’une des saillies les plus marquantes concerne le langage, notamment l’emploi fréquent du mot “nigger” (“nègre”) qui a provoqué une controverse – Spike Lee et quelques autres n’ont pas vraiment apprécié. Foxx ne prend pas de gants pour défendre son réalisateur (“Il était hors de question de faire un film d’esclaves sans utiliser ce mot”) avant d’expliquer que dans le Sud des États-Unis et parfois ailleurs, la question raciale reste prédominante.
“C’était le cas quand je grandissais, c’est aussi le cas aujourd’hui, alors imaginez au XIXe siècle ! Mon beau-père enseigne l’histoire des Noirs en Amérique, je connais ces sujets. Parlez à une personne noire de plus de 60 ans et elle vous dira que le mot nègre n’avait rien de rare en Amérique il n’y a pas si longtemps. L’esclavage est un sujet très sensible, on en a peur. Autant Inglourious Basterds pouvait donner l’impression aux Américains de se dérouler dans une terre lointaine, autant Django Unchained nous met le nez dans le problème. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama a montré que ce pays pouvait avancer, mais n’a pas effacé le racisme d’un coup. Dans le Sud, certains journaux n’ont pas mis la photo du Président en une lors de sa première élection en 2008.”
Assez vite, Jamie Foxx devient intarissable, raconte comment il a emmené sa jeune fille sur d’anciennes plantations, lors du tournage à La Nouvelle-Orléans, exprime sa volonté de transmettre son expérience. “C’est toujours important de rafraîchir la mémoire des uns et des autres. Pas mal de jeunes Noirs n’ont pas conscience de l’importance de l’esclavage et de ses conséquences encore aujourd’hui. Ces événements horribles qui se sont déroulés durant plus de deux siècles ont laissé des traces. J’appelle cela les résidus de l’esclavage. Une fois, dans un avion, alors que je m’asseyais en première classe, un Blanc d’une soixantaine d‘années avec l’accent du Sud m’a demandé pour quelle équipe je jouais. C’est comme ça. Sur le plateau de Django Unchained, il y a eu des moments forts, comme cette discussion entre Leonardo DiCaprio et Samuel L. Jackson. Leo lui expliquait que tous les mots racistes prononcés par son personnage étaient difficiles à dire. Sam lui a répondu : ‘Pour nous, c’est juste un mardi comme les autres’.”
Après cette escapade du côté sérieux, le sourire du lover reprend ses droits. Repéré au début des années 90 dans la secouante sitcom des frères Wayans, In Living Color, Jamie Foxx avait à ses débuts de hautes ambitions comiques. Son spectre s’est nettement élargi. Sans préciser de date, il affirme sa volonté de continuer à mener une carrière musicale en parallèle au cinéma – il n’a plus sorti d’album depuis deux ans – et de perpétuer ainsi la tradition qui a fait de lui le quatrième homme dans l’histoire d’Hollywood à cumuler un oscar et un album numéro 1 des ventes. “Je me suis beaucoup intéressé aux performeurs des années 50-60 qui faisaient tout à la fois : le chant, le jeu, la danse. Je suis fan de Dean Martin, Sammy Davis Jr., Paul Anka, j’ai regardé en détail comment ils s’étaient construit leur place. Cela m’a servi. Des gars de ma génération comme mon pote Will Smith et Tom Cruise sont différents car ils ont tout pour eux. Moi, j’ai dû mettre en avant ma singularité et bosser mes points forts au maximum. Je vais continuer comme ça, je n’ai pas le choix.”
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