Pas au niveau de Mad Men ou Breaking Bad, The Walking Dead a au bout de six saisons eu le temps de générer nombre de belles scènes à l’illustration sonore bien sentie. Souvent, il s’agit du meilleur moyen pour inclure un peu de poésie dans ce monde de boyaux et de larmes. Attention, spoilers.
Coups de feu, de couteau ou de katana assénés à des corps en décomposition mis à part, The Walking Dead n’est pas une série bruyante. En renversant la société humaine, l’ordre zombie a mis en place un monde de silence, à peine troublé par quelques râles affamés. Pour ne pas le perturber – et éviter d’être dévoré vivant – les survivants évitent ainsi cris, pleurs de bébés, klaxons et autres désagréments bien connus durant le règne des Hommes. Seul problème : jouer de la musique reste tout aussi dangereux. Si on trouve relativement peu de chansons originales dans la création de Frank Darabont, c’est par souci de cohérence avec l’univers des protagonistes. Si les stars de Mad Men peuvent siroter des cocktails sur du Gainsbourg, les héros de The Walking Dead n’ont pas vraiment ce luxe. Très peu de musique est ainsi joué live dans la série.
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Cette privation, reflet des petits plaisirs simples que les personnages ont perdu après l’apocalypse, est mise en lumière au début de l’épisode 4 de la saison 5. Une saison après une double citation de Chopin, jouée par le Gouverneur en caressant les cheveux de sa fille zombie puis sirotant du whisky, Beth Greene est recueillie dans un hôpital. La demi-sœur de Maggie et fille d’Hershel porte un plateau repas à un des médecins. Dans son bureau, un vinyle du bluesman américain Junior Kimbrough tourne sur une vieille platine. Beth apprécie et avoue :
Je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai entendu un disque.
Tom Waits, Waxahatchee et claquements de doigts
Mélomane du groupe, la jeune femme remédie souvent à l’absence d’iPods nano de la même manière que lors d’une soirée au coin du feu : en chantant. C’est justement dans ce cadre bucolique, bien que sur le gazon d’une prison, qu’elle donne, à la requête de son père, une première performance. Si Beth est réfractaire, Glenn insiste. Elle se lance alors, rapidement suivie par sa sœur, dans l’interprétation d’une chanson traditionnelle écossaise, The Parting Glass.
Dix épisodes plus tard, l’ambiance n’est pas la même. Le lendemain, le groupe doit attaquer Woodbury, le domaine du Gouverneur, meilleur méchant de la série jusqu’à l’apparition de Negan. Beth, qui a grandit, reprend pour rassurer les troupes un titre de Tom Waits, Hold On, avant que l’originale ne couvre la voix de l’actrice jusqu’aux crédits de fin. Au début de la saison 4, la communauté de la prison a grandi et se veut prospère. Beth est nounou attitrée de Judith, la fille de Rick et lui chante I Don’t Wanna Grow Up, chanson du même Tom Waits en forme de berceuse.
Après l’attaque finale sur la pénitencier menée par les troupes du gouverneur, Beth et Daryl, couple improbable, se retrouve à airer dans les bois. Le duo apprend à se connaître et l’adolescente à briser la carapace de son compagnon. Il s’attendrit une première fois lorsqu’il la surprend, sur un piano dans une maison abandonnée, en train de reprendre Be Good, une ballade du groupe anti-folk Waxahatchee.
S’il s’agit là des seules pièces de musique interprétées directement par un personnage, d’autre morceaux sont joués à la radio ou sur un baladeur. Dans le confort de la prison, Rick, qui n’est plus d’humeur à flinguer du zombie, s’est pris de passion pour le jardinage. À la première scène de la saison 4, il ratisse son petit lopin de terre avec dans les oreilles un vieux standard gospel des Stanley Brothers. Des goûts musicaux qui se confirment lors d’une virée avec Daryl durant laquelle, malgré les protestations du copilote, Rick claque des doigts au son d’un CD d’Action Packed, pépite rockabilly de Ronnie Dee.
Motörhead, Ted Nugent et mission suicide
Si l’archer proteste, c’est peut-être parce qu’il préfère du bon gros hard rock. Son frère, Merle Dixon, choisit quoi qu’il en soit Fast and Loose de Motörhead dans sa mission suicide pour attirer les walkers dans les pâtes des soldats du Gouverneur fin saison 3.
https://www.youtube.com/watch?v=Uo-M5E0T8WI
Œuvre gore élégante, The Walking Dead ne peut s’affranchir totalement des codes du genre, comprenant une bonne saucée de musique labéllisée « virile ». Dans le même épisode, on retrouve un titre du cow boy républicain Ted Nugent et plus tôt dans la saison, le groupe de southern rock Lynyrd Skynyrd rythmant le rancard du Gouverneur avec Andrea. Quoi de mieux que Saturday Night Special pour regarder deux pauvres diables se battre entourés de zombies affamés. Grand classique du genre, la chanson douce d’artiste énervé est utilisée saison 2 épisode 8 pour ajouter au drama des premières exécutions menées par Rick Grimes sur des vivants. Clutch du groupe de stoner du Maryland aux gueules de gros durs des autoroutes The Regulator marche aussi bien pour brûler des cadavres.
Mais le plus bel exemple d’usage de musique « burnée » pour exciter les ados tout en dégoulinant de classe date du final de l’épisode 2 saison 1. Alors qu’on se demande où il est, Glenn roule à tombeaux ouverts à bord d’une Dodge Challenger rouge et noire volée, à contre-sens sur l’autoroute. Au fond, Atlanta s’éloigne et on entend la grosse voix d’Arnaud Rebotini chanter I’m A Man.
Une ballade à la campagne
Bien loin de cette scène pleine de testostérone, la plupart des morceaux utilisés dans le show AMC appartiennent à la grande tradition du folk, de l’indie et de la country américaine. Ainsi, c’est bien au son de Tomorrow is a long Time de Bob Dylan, que Rick et sa famille fuit le CDC en flamme à bord d’un camping-car. La caméra suit le convoi roulant tranquillement comme pour un week-end à la campagne avant de terminer sur les flammes. Dès lors, la trame de l’histoire se déroule principalement en milieu rural, adoptant une identité sonore adéquate.
Pote de Dylan, Johnny Cash et sa voix de cow-boy apparaissent dans l’épisode final de la plus récente saison, illustrant de jolies tranches de vie dans la banlieue cossue faite forteresse d’Alexandria. Pour faire oublier la violence inouïe de ce monde, on utilise de jolies balades touchantes qu’on écoutait le dimanche avant l’apocalypse. On se sent proches des protagonistes puis se rend compte que pour eux, se balader en famille le week-end nécessite un grand renfort d’armes automatiques et une bonne dose d’inconscience.
https://www.youtube.com/watch?v=nO8iKsOwqkI
Une utilisation similaire est faite avec du Patrick Watson, lorsque le groupe emménage dans la prison et Be Not So Fearful du songwriter A.C. Newman à la découverte du terminus, une autre home sweet home, à la fin d’un voyage éreintant, en fin de saison 4.
Cette incursion d’imagerie de comédie romantique indie dans l’univers gore de la série n’est jamais plus flagrante que dans l’épisode 12 de la saison 4. Celui sur l’amourette naissant entre Beth et Daryl. Toujours terrassée par la mort de son père, mais libérée de sa tutelle, l’adolescente n’a qu’un désir : se bourrer la gueule pour la première fois. Son compagnon l’amène dans un énième taudis vider une bouteille de mélasse maison. En fin d’épisode, le duo, comme des gamins, asperge la bicoque de liqueur avant d’y mettre le feu au son libérateur de The Mountain Goats.
https://www.youtube.com/watch?v=f6H4LWVlem0
Pas toujours parfait
Si vous n’êtes pas touché par ce double doigt d’honneur rebel, vous êtes probablement gêné. Malheureusement, The Walking Dead restant une série américaine sur les zombies, l’utilisation de musique tendre génère plusieurs fois ce sentiment désagréable. Saison 2 épisode 10, Civilian, par Wye Oak est ainsi employé pour illustrer l’un des plans les plus élégants de la série. Ce zombie décharné traversant un champs au ralenti, déjà aperçu en début d’épisode aurait mérité mieux.
Même constat pour d’autres scènes pourtant superbes, comme celle montrant la longue traversée du désert du gouverneur, qui aurait pu trouver meilleur renfort sonore que cette ballade de Ben Nichols. Pareil pour la scène flashback sur le sentiment d’abandon de Carol. Bannie par Rick, elle gueule à un zombie de partir sur un titre chanté par Alison Mosshart des Kills qui tombe un peu à plat.
https://www.youtube.com/watch?v=McJrKnE8x98
Pas assez d’humour ?
Si ces deux dernières scènes sont trop tristes pour qu’on en rit, on pourrait regretter un certain manque d’humour. La série est grave, ce qui contribue à l’addiction qu’elle procure. Mais suivant une nouvelle fois les codes du genre, utiliser plus souvent des titres à contre-emploi ne ferait pas de mal. Surtout que les showrunners de TWD save faire, comme le prouve le visage de Rick Grimes, au bord de suicide, lorsque Glenn l’insulte à la radio au son de Space Junk par Wang Chung.
https://www.youtube.com/watch?time_continue=49&v=ps-Bac_nkRQ
Presqu’aussi beau, le nouveau sheriff d’Alexandria fait sa ronde à l’épisode 13 de la saison 5 lorsqu’il entend des walkers à l’extérieur. Il va vérifier la solidité des murs, au son des Bee Gees. Parce que le silence ne suffit pas.
https://www.youtube.com/watch?v=BD3g8o0hQV0
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