A l’occasion de ses dix ans, « L’Effet Papillon » s’empare de la Saint-Valentin pour en décrypter les nouveaux codes amoureux des quatre coins de la planète. Le tout, sur le ton singulier, décalé, voire amusé qui fait son succès. Rencontre avec Daphné Roulier, la présentatrice de l’une des émissions emblématiques de la patte Canal+.
Comment définiriez-vous L’Effet papillon ?
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Daphné Roulier – Je dirais que c’est une émission curieuse, joueuse, inattendue, transgressive, et un poil insolente dans sa forme. L’Effet papillon aborde des sujets qui sont souvent dans des angles morts ou hors des radars des rédactions. Toute proportion gardée, nous avons un peu un rôle de lanceurs d’alertes. Ce serait très prétentieux de dire que l’on devance l’AFP, mais on essaie autant que possible d’anticiper les dépêches plutôt que de les suivre. Papillon flaire et met en exergue également les phénomènes émergents ou les nouvelles tendances qui risquent de débouler chez nous. En ces temps de repli sur soi, de murs que l’on érige, de frontières que l’on ferme, d’immigrants que l’on refoule, la peur de l’étranger – et la peur de l’autre – n’a jamais été aussi forte. A sa façon, Papillon ouvre les fenêtres et regarde vers l’étranger, aussi étrange soit-il. Le mantra de l’émission pourrait être : « les faits ont des effets », autrement dit, ce qui se passe à des milliers de kilomètres de chez nous n’est pas sans conséquence sur nous.
Vous avez été précurseur sur certaines questions de société…
On est un peu les chiens truffiers de l’info, et c’est vrai qu’on a du flair. On a traité par exemple de l’usage du Taser aux Etats-Unis. Une arme très et toujours controversée, utilisée en France des années plus tard et qui n’a pas manqué de soulever les mêmes questions. Nous avons aussi été les tous premiers à parler de la bataille des Sioux du Dakota du Nord contre les géants pétroliers, les tout premiers à s’intéresser dès 2006 à un obscur sénateur de l’Illinois prénommé Barack Obama dont on a d’ailleurs fait le portrait, deux avant son accession à la Maison Blanche (ça ne nous rajeunit pas).
Comment rendre l’actualité internationale intéressante aux yeux de tous et à une heure de grande écoute, ce qui est tout le défi de l’émission finalement ?
En dehors d’Arte Reportage, l’Effet Papillon est la seule émission aujourd’hui en France 100 % dédiée à la politique internationale. Et cela n’a rien d’aride, croyez-moi. Il n’y a pas de bons ou de mauvais sujets. Tout est une question de regard, d’angle et de ton. Sur le papier, la série « Fuck le système » de Benoît Chaumont – qui s’intéresse à tous ceux qui vivent en marge de la société – pourrait être anxiogène, misérabiliste ou saugrenue. C’est tout l’inverse. Elle s’est même transformée en une odyssée aussi épique que baroque au pays des exclus. A ce titre, sa dernière incursion chez les moines orthodoxes du Mont Athos vaut son pesant de féta…
Selon vous, quelle actualité internationale a été la plus marquante en 2016 ?
Indéniablement, l’élection de Donald Trump. Et finalement, si on y réfléchit bien, cela n’a rien d’étonnant quand on sait la façon dont la population américaine s’informe. Deux cent quarante millions d’Américains, soit 40 % de la population, s’informent uniquement via les réseaux sociaux. Cette source d’information ne fait que les conforter dans leurs opinions et leurs préjugés. Trump, c’est certes la revanche du petit Blanc frappé de plein fouet par la crise, mais c’est aussi la victoire des algorithmes et de la post-vérité. Et ce n’est pas pour rien si le conseiller spécial de Donald Trump à la maison Blanche n’est autre que Steve Bannon, figure de l’ultra-droite, un des fondateurs du site d’opinion ultra-conservateur Breitbart News. Implanté en Angleterre, le site a soutenu l’extrémiste Nigel Farage et le Brexit. Il a annoncé son arrivée en France et son intention d’épauler Marion Maréchal Le Pen et Marine Le Pen dans sa campagne présidentielle. Ça promet…
Alors, oui, l’élection de Donald Trump a en effet de quoi inquiéter, mais je suis convaincue que des courants alternatifs et des poches de résistance à fort coefficient créatif et démocratique vont émerger. Dans ce contexte, L’Effet Papillon a plus que jamais un rôle d’utilité publique. Alors que les réseaux sociaux remplacent peu à peu les médias traditionnels et que la post-vérité concurrence l’info, l’important est d’aller voir sur place, avec de vrais journalistes, ce qui se passe vraiment.
Comment fonctionne la fabrication de l’émission en amont, qui est produite par l’agence Capa ?
Tout ce qui nous étonne, nous émeut ou nous met en colère est un bon point de départ pour un reportage. Nous travaillons en très bonne intelligence avec l’agence Capa, que je connais bien. Grâce à son réseau de correspondants, nous gardons un œil ouvert, partout, 24 heures sur 24… Et ce sont autant de forces de proposition. Ajoutez à cela notre flair, une lecture approfondie de la presse française et étrangère, une veille sur le web, et une curiosité inextinguible, et vous avez de bons battements d’ailes de papillon. Parfois, une simple ligne dans un journal donne lieu à un reportage. Nos délais de fabrication sont assez courts puisque nous préparons les émissions une semaine à l’avance, en moyenne. Pour nos journalistes, c’est presque un sacerdoce. Ils sont à peine rentrés qu’ils repartent aussi sec… parfois au péril de leur vie. Je pense notamment à Laurent Hamida parti suivre la bataille de Syrte, en Libye début septembre. Il y a un mois, il revenait avec des images du Nord Mali, où aucun autre journaliste ne s’était rendu clandestinement depuis 2013 et l’assassinat des deux reporters de RFI. C’est important de saluer leur travail.
Quels reportages de L’Effet Papillon vous ont le plus marquée ?
Un reportage en Roumanie notamment, dans les égouts de Bucarest où ont élu domicile les orphelins de la dictature de Ceausescu. Une fois le régime tombé, les orphelinats n’ont plus eu les moyens de nourrir les enfants, ils les ont donc chassés. Ces enfants se sont retrouvés sans aucun moyen de subsistance et se sont agrégés dans les égouts de la ville. L’autre reportage que je retiens, c’est celui de Sofia Amara dans la communauté kurdophone des Yézidis en Irak, cette minorité ethnique méthodiquement décimée par Daech. Il relatait l’histoire de deux frères kidnappés et embrigadés par le groupe Etat islamique pour en faire des bombes humaines avant qu’ils ne soient finalement libérés, contre rançon. Je pense aussi à ce héros ordinaire, cet homme d’affaires yézidi qui a décidé de mettre toute sa fortune – très relative – au service de la libération des Yézidis, otages de Daech. Très vite, le groupe EI l’a repéré et menacé, sa famille a dû déménager. Lui, est resté au Kurdistan irakien pour continuer à libérer les femmes et les enfants de sa communauté. Un résistant pur jus.
Comment avez-vous personnellement perçu la crise chez i-Télé ?
J’ai travaillé à I-Télé, c’était une chaîne et une rédaction solides, avec des reportages au long cours et un vrai point de vue sur l’actualité. On ne peut décemment pas se réjouir de la disparition d’une rédaction, quelle qu’elle soit d’ailleurs. Surtout dans le contexte actuel. Maintenant, Vincent Bolloré est maître chez lui. On ne peut qu’espérer qu‘I-Télé, aujourd’hui C-News, se réinvente, se reconstruise et propose une belle alternative aux chaînes d’information en continue traditionnelles. Il y a de la place, d’après moi, pour une telle chaîne.
Canal+ a été enterrée un peu vite mais la chaîne ne se résume pas à son clair et d’ailleurs même en clair, il y a encore de la transgression et de la créativité : les Mash-up, Groland, L’Emission d’Antoine… Quant au crypté, il est de très grande qualité. Qu’il s’agisse de la fiction, de la création originale ou des docs (Pornocratie, Exode, Le Studio de la terreur), ça reste sans commune mesure avec ce qui se fait ailleurs. Les amateurs de sport y trouvent aussi leur compte… Et puis bien sûr, il a L’Effet Papillon dont je suis très fière. On y jouit d’une totale liberté éditoriale. Et les abonnés prennent visiblement autant de plaisir à la regarder que nous à la faire. Pourvu que ça dure, comme disait Lafesse !
Propos recueillis par Fanny Marlier
L’Effet Papillon, « Amours et dépendances », lundi 13 février 2017 à 22h45 sur Canal+, rediffusion dimanche 19 février à 12h40.
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