Entre mille occupations, Gérard Depardieu retape depuis six ans un hôtel particulier dans le VIe arrondissement de Paris. Derrière un haut mur ravalé couleur crème, une courette flanquée de deux petits pavillons refaits à neuf (l’acteur habite occasionnellement l’un d’eux), puis un beau bâtiment Directoire en plein chantier, un jardin paysager tout neuf, et enfin, […]
Entre mille occupations, Gérard Depardieu retape depuis six ans un hôtel particulier dans le VIe arrondissement de Paris. Derrière un haut mur ravalé couleur crème, une courette flanquée de deux petits pavillons refaits à neuf (l’acteur habite occasionnellement l’un d’eux), puis un beau bâtiment Directoire en plein chantier, un jardin paysager tout neuf, et enfin, un second bâtiment de type industriel, quasiment terminé, dans lequel nous attendons l’acteur, en compagnie de Bernard Quentin, artiste qui participe à la recréation des lieux.
Moderne, ample, épuré, ce deuxième bâtiment est une belle pièce d’architecture et de design, avec matériaux précieux (marbres, granit, bois de toutes provenances…), puits de lumière, détails ciselés comme cette façade en métal d’inspiration moucharabieh déroulant un poème dédié à Confucius en babelweb, le langage visuel inventé par Quentin, mi-signalétique, mi-hiéroglyphes.
Le “gros Gégé” déboule et tel un metteur en scène, entreprend derechef Bernard Quentin au sujet de la disposition d’une table.
“C’est pendant les travaux que j’ai connu Bernard, explique Depardieu, et ça s’est fait avec lui comme tout ici : sans forcer. Il n’y avait pas de plan, et donc, je n’ai rien construit, c’est l’espace qui nous a construits. Il n’y a rien de plus con qu’un entrepreneur. L’entrepreneur, c’est un militaire, c’est un bourge qui va dire à sa femme : tu vois chérie, c’est pour toi que je refais cette maison.”
Intarissable, ogresque, jouisseur de la parole, Depardieu se lance dans des tirades au souffle long, enchaînant les sujets de façon acrobatique, de l’histoire ancienne de ce lieu jusqu’aux artistes. On lui découvre une passion pour la peinture et l’art contemporain, qui explique peut-être en creux ses récents commentaires dépréciateurs sur le cinéma.
“Chez Bernard, on peut trouver traces des hiéroglyphes, des moucharabiehs, de l’écriture mésopotamienne. Un artiste ne peut inventer tout, tout seul, même les plus grands, même de Vinci. Je ne pense pas que Matisse aurait pu réussir son bleu sans avoir vu un bleu dans les livres bibliques du Moyen Age. Il n’y a rien qui sort uniquement de toi, sauf ta merde, mais dans cette merde aussi, il y a quelque chose qui ne vient pas de toi. Parfois, je préfère l’atelier de Francis Bacon à ses tableaux. Je préfère quelqu’un qui est en violence avec lui-même que le tableau qu’il exécute.”
On tente de redescendre sur terre en questionnant l’acteur sur l’usage de ce lieu où tout n’est que créativité, luxe, calme et volupté. Est-ce son domicile ? Un futur hôtel ultraselect ? Une maison pour les amis, pour faire la fête ?
“J’y habite de temps en temps… Mais je ne sais pas encore ce que je vais en faire. Ce n’est en tous cas pas un lieu pour faire la fête, au contraire, plutôt pour méditer, avoir des conversations. Dans toute maison, il y a un endroit où on lit, où on peut penser. C’est l’espace, l’occupation de l’espace, qui m’intéresse. La fête, c’est fermé, comme un ventre dans lequel tous les vices se forment et se déforment. Là, au contraire, c’est la pureté, c’est affronter cette vérité qui peut sortir de nous, avec nos vices et nos puretés. Le thème qui a guidé ce lieu, c’est le passage du temps. Avant de prendre possession de ce lieu, il faut se connaître et bien s’apprivoiser. Même moi qui suis cuisinier, il m’a fallu du temps pour apprivoiser cette cuisine. Trouver la place d’un objet, d’une pensée, d’une liberté, ça prend du temps.”
Quand le photographe lui demande de poser devant la maison, l’acteur tonitrue une réponse depardivinissime : “T’as pas besoin de me prendre, photographie juste la maison, ça suffit, puisque cette maison, c’est moi !”
Serge Kaganski
(photo Renaud Monfourny)
Gérard Depardieu recevra le 8 octobre le prix Lumière pour l’ensemble de son oeuvre ; Bernard Quentin est exposé jusqu’au 30 juillet à la galerie Catherine Houard, 15, rue Saint- Benoît, Paris VIe