Fins connaisseurs des élites économiques et sociales, deux sociologues dévoilent le fonctionnement oligarchique de la droite et des puissances d’argent.
Bio express Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon
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Sociologues, anciens directeurs de recherche au CNRS, ils concentrent leurs recherches sur la bourgeoisie, l’aristocratie et les élites sociales. Ils ont notamment publié Les Ghettos du gotha : comment la bourgeoisie défend ses espaces (Seuil, 2007), La Chasse à courre : ses rites et ses enjeux (Payot, 1996), Voyage en grande bourgeoisie (PUF, 2005) et Sociologie de la bourgeoisie (La Découverte, 2005).
Votre livre se lit comme l’histoire vraie d’un clan qui dîne au Fouquet’s et habite Neuillysur- Seine. Des industriels et des politiques “aussi soudés, aussi méthodiques, aussi déterminés”, c’est une première ?
Michel – Ce qui est une première, c’est l’affichage et la visibilité du fonctionnement de l’oligarchie. Michel Pébereau par exemple, président de BNP Paribas, qui a bénéficié d’aides publiques au cours de la crise de 2008, est un proche de Nicolas Sarkozy. Il fait partie des sept “sages” qui pilotent l’ambitieuse réforme libérale baptisée Révision générale des politiques publiques. Mais la collusion de fait des élites politiques et économiques existait auparavant.
Monique – On n’est plus du tout dans le principe du “Pour être heureux, vivons cachés”. C’est une des ruptures véritables de Nicolas Sarkozy que de revendiquer une droite décomplexée dans des rapports à l’argent qui traduisent un cynisme nouveau. Dans les beaux quartiers, dans les cercles, dans les conseils d’administration, sur le green des golfs, on retrouve les mêmes, si bien qu’on en retire l’impression d’être face à une bande. Cette classe dominante est organisée, mobilisée, soudée, redoutable.
Que disent les affaires Bettencourt, César et Wildenstein de la France de Nicolas Sarkozy ?
Monique – Ces trois affaires ont des points communs : Liliane Bettencourt, Alain-Dominique Perrin, impliqué dans l’affaire César, et Guy Wildenstein sont de grands donateurs de l’UMP. Eric Woerth est donc concerné comme ancien trésorier du parti, mais aussi comme ministre du Budget, car ces trois affaires ont été l’occasion de contacts étroits entre les familles et Bercy. L’épouse du ministre était elle-même l’une des gestionnaires de la fortune de madame Bettencourt, qui a reconnu posséder des comptes bien garnis en Suisse, non déclarés aux services fiscaux. Concernant le collectionneur d’art Guy Wildenstein, une partie de sa richesse est localisée sous forme de “trusts” dans les îles Bahamas et à Guernesey. On peut donc douter de la sincérité de la croisade d’Eric Woerth contre les paradis fiscaux ainsi que de l’exploitation par ses services des listings de plusieurs milliers de fraudeurs réfugiés dans les banques suisses. Quant à la succession de César, pas de sanction à ce jour et un dégrèvement de 27 millions d’euros.
Michel – Le risque de conflit d’intérêts est objectivement là. Mais la classe dominante se sent aujourd’hui suffisamment conquérante pour ne plus prendre les précautions d’usage qui lui assuraient une certaine discrétion. Au moment où Eric Woerth est mis en cause, le gouvernement déclare vouloir faire la “guerre” à l’insécurité.
C’est la délinquance en col blanc contre la délinquance ordinaire ?
Michel – Nicolas Sarkozy a voulu étouffer les affaires qui mettent en cause son ministre par une campagne très médiatisée contre l’insécurité dans les quartiers sensibles. Il ne s’est pas rendu compte que les Français font le lien entre une fraude fiscale qui ne fait pas l’objet de poursuites pénales et un incendie de voiture sanctionné par de la prison ferme.
Monique – Il est impératif de rapprocher les formes de délinquance liées à la pauvreté et à l’exclusion de celle des beaux quartiers, qui accompagne la richesse et la spéculation financière. La délinquance en col blanc est invisible, on a l’impression qu’elle ne fait pas partie du quotidien, pourtant elle nuit économiquement et socialement à une grande majorité du peuple français.
Le président lui-même a tendance à contourner la loi, en créant des commissions et des établissements ad hoc…
Monique – Oui. Nous racontons comment il ruse avec les lois, écrites ou non écrites, pour arriver à ses fins. Nous en donnons plusieurs exemples avec la suppression de la publicité sur les chaînes publiques de télévision ou la mise sur orbite de Jean Sarkozy à la Défense. C’est un comportement savoureux de la part d’un homme qui est le garant des principes de la République.
Vous le présentez comme une sorte d’anti- Robin des Bois. Quels cadeaux fait-il aux plus riches ?
Michel – Il y a le bouclier fiscal, qu’il a ramené de 60 % à 50 %, la réduction drastique des frais de succession, qui comble les héritiers des familles fortunées, les nominations à des postes stratégiques ou encore les promotions dans la Légion d’honneur. Tous ces cadeaux forment un système cohérent qui permet d’écraser les classes moyennes et populaires. Cette situation risque de durer car les grandes fortunes considèrent toute fiscalité comme insupportable. Il arrive même que grâce à des optimisations fiscales, elles parviennent à l’impôt zéro.
Que suggérez-vous pour sortir de ce fonctionnement oligarchique ?
Monique – Nous proposons d’abolir le cumul des mandats en politique et dans les domaines de l’économie et de la finance, c’est-à-dire dans les conseils d’administration. Les employés et les ouvriers, majoritaires dans la population active, sont absents de l’Assemblée nationale. Les lois sont donc faites par les couches sociales les plus favorisées, qui sont bien placées pour produire des textes législatifs conformes à leurs intérêts. Les conseils d’administration des sociétés du CAC 40 sont aux mains de quelques oligarques qui cumulent les jetons de présence. Un seul siège en dehors de la société où l’on exerce des responsabilités serait suffisant.
Michel – La nationalisation des banques, qui a déjà été pratiquée, empêchait ces établissements de se livrer à des spéculations préjudiciables à l’économie globale. Avec un système bancaire public, la Bourse n’a plus de caractère indispensable, au contraire. Les impôts devraient systématiquement être prélevés à la source, ce qui rendrait les niches et les paradis fiscaux obsolètes. Et si le taux d’imposition pouvait monter jusqu’à 90 % pour la dernière tranche, cela découragerait les plus gros appétits. Le système financier tel qu’il fonctionne aujourd’hui se donne l’apparence d’être indispensable. Nous invitons nos lecteurs à ne plus se laisser “bluffer”.
Le Président des riches. Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy de Michel Pinçon et Monique Pinçon- Charlot (La Découverte), 228 pages, 14 €
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