Figure secrète du free-jazz historique, le tromboniste Roswell Rudd fait avec Broad strokes le récapitulatif de sa carrière en forme de portrait chinois. Consciencieusement sous-employé et sous-enregistré depuis le tournant des années 70, le tromboniste Roswell Rudd, héraut tonitruant du free-jazz historique (partenaire de Cecil Taylor, Steve Lacy, Albert Ayler, Archie Shepp…), s’est si bien […]
Figure secrète du free-jazz historique, le tromboniste Roswell Rudd fait avec Broad strokes le récapitulatif de sa carrière en forme de portrait chinois.
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Consciencieusement sous-employé et sous-enregistré depuis le tournant des années 70, le tromboniste Roswell Rudd, héraut tonitruant du free-jazz historique (partenaire de Cecil Taylor, Steve Lacy, Albert Ayler, Archie Shepp…), s’est si bien accoutumé à son interminable traversée du désert qu’il a fini par transmuer ce silence forcé en l’espace paradoxal et étonnamment fécond d’un éternel retour elliptique et à jamais différé. Et de fait, depuis bientôt trente ans, Rudd n’en finit pas de réapparaître ainsi, à intervalles irréguliers, comète fugace perpétuellement semblable à elle-même dans la fulgurance de son émergence/résurgence toujours travaillé par les mêmes obsessions, les mêmes fascinations, suivant inlassablement la trajectoire immuable de son désir, sans qu’à aucun moment pourtant sa musique ne puisse être soupçonnée de passéisme nostalgique ni de ressassement stérile.
Il y a là une magie singulière au tromboniste qui ne se dément pas et dont ce dernier disque Broad strokes, authentique chef-d’œuvre déclinant avec finesse les multiples facettes d’un imaginaire musical improbable, à la fois furieusement monomaniaque et parfaitement éclectique, rend compte avec une pertinence peut-être jamais atteinte auparavant.
Après la renaissance la saison dernière de deux de ses formations les plus mythiques (le New York Art Quartet créé en 1965 comme écrin aux prêches hallucinés du poète Amiri Baraka, alias Leroi Jones, et le quartette imaginé au tournant des années 60 en compagnie de l’alter ego Steve Lacy, entièrement dévolu à la musique de Monk), Roswell Rudd revisite ici l’ensemble de ses territoires et récapitule ses qualités.
Passant allégrement d’un mini-big-band d’une dizaine de musiciens, aux allures savamment mal léchées évoquant tour à tour l’univers baroque et sophistiqué de Charles Mingus et la « musique de feu » du Shepp des années 60, aux climats minimalistes et bruitistes de Sonic Youth, le tromboniste réalise magnifiquement ce qui n’a jamais cessé de travailler souterrainement son œuvre depuis que, musicien dixieland, il s’engagea corps et âme dans l’aventure free : traquer les correspondances entre les diverses formes de culture populaire, révéler l’unité profonde de ce que d’aucuns jugent inconciliable.
Langoureux ou ironiquement acide, constamment lyrique, Roswell Rudd plonge résolument au cœur de la mélodie sous toutes ses formes, de la pop-song décalée aux standards capiteux des grands compositeurs fétiches (Monk, Herbie Nichols, Ellington), et saisit là l’essence même de son esthétique à la fois naïve et raffinée.
A l’arrivée, comme toujours chez Rudd, entre projection fantasmatique et expérimentations formalistes, Broad strokes se feuillette comme autant de fragments autobiographiques négligemment dispersés un portrait éclaté qui, reconstitué, finit par dessiner l’une des aventures musicales les plus cohérentes du post-free.
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