Du musée personnel de Brett Anderson, on connaissait surtout David Bowie, ressorti sous toutes ses formes plus ou moins cocasses à chaque album de Suede. Alors que sort Coming up, nouvel album qui dépoussière avec panache la galerie glam-rock, promenade parmi les héros d’un vaurien sauvé par sa culture de bric et de broc. Gamin, […]
Du musée personnel de Brett Anderson, on connaissait surtout David Bowie, ressorti sous toutes ses formes plus ou moins cocasses à chaque album de Suede. Alors que sort Coming up, nouvel album qui dépoussière avec panache la galerie glam-rock, promenade parmi les héros d’un vaurien sauvé par sa culture de bric et de broc.
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Gamin, je voulais être footballeur ou athlète, c’était tout. J’étais très bon en course à pied : mon père a été coureur de demi-fond pendant des années et me laissait par conséquent faire ce que je voulais. Mes parents ne m’ont jamais forcé à devenir ce qu’ils n’ont pas pu être. Par exemple, ils ne m’ont jamais forcé à lire je ne lisais alors jamais. Je n’ai jamais ouvert un livre de Camus ou de Dostoïevski, ça ne m’a jamais préoccupé. Je préférais de loin la musique. Les écrivains que j’aime maintenant se sont incrustés, imposés petit à petit dans mon cerveau. Je n’ai jamais été obsédé par les personnalités se cachant silencieusement derrière les œuvres. J’allais également très rarement au cinéma. On n’avait pas beaucoup d’argent à l’époque, alors je regardais tout le temps la télé. Maintenant, j’adore ça, j’essaie constamment de rattraper mon retard, de voir des classiques, je loue des vidéos, regarde les notes de jaquette, m’intéresse aux stars qui y jouent. Je n’ai jamais eu envie d’être acteur dans un film, ni la prétention de jouer au théâtre. Je préfère être spectateur.
Il fallait du cran pour écrire une pièce sur l’homosexualité dans les années 50. C’est pourquoi Joe Orton reste l’un de mes héros. C’est lui le protagoniste de Prick up your ears de Frears, un dramaturge à la vie privée plutôt mouvementée. Il a été emprisonné pour avoir gribouillé des livres de bibliothèque, il a été tué par son amant, maladivement jaloux de lui. Orton était un vrai cinglé. Il avait l’air pourtant si détaché, en apparence très équilibré. J’aime la façon dont il parle avec humour de choses graves. J’admire son comportement extrémiste, il ne laissait personne se mettre en travers de son chemin. Aujourd’hui, c’est facile de se réclamer d’une culture alternative, mais en 1957, on ne parlait pas de culture gay. Ce n’était pas à la mode, l’homosexualité était plus ou moins illégale. C’était difficile dans ces conditions-là de devenir célèbre, de devenir un artiste sans se marginaliser.
La découverte de George Orwell est l’un des seuls points positifs de ma scolarité. J’avais 16 ans quand j’ai lu 1984 au lycée. C’était obligatoire pour passer le brevet, on nous bourrait le crâne avec ce livre en classe. A l’école, tout le monde faisait un amalgame grossier entre le communisme et le totalitarisme, les gens de droite ne se privant pas de transformer le livre en propagande anticommuniste. A cette époque, je n’avais encore aucun moyen intellectuel pour faire le rapprochement entre le livre et le gouvernement Thatcher, avec ce qui se passait en Grande-Bretagne. J’entendais tous les abrutis de ma classe dire « Heu, il parle de la Russie », mais je savais que ça n’avait rien à voir avec la Russie. Personnellement, je n’ai jamais détesté la collectivité, mais j’étais assez solitaire à l’école. Je n’ai jamais été non plus une espèce de rêveur solitaire écrivant des poèmes tout seul le long de la rivière, mais je n’ai jamais aimé suivre la foule pour autant. Je préférais m’échapper, disparaître pour aller prendre des drogues dans mon coin.
Les gamins ne réalisent pas à quel point les Simpsons sont pertinents et excellents. C’est l’une des meilleures inventions américaines du xxe siècle, du niveau d’Alice au pays des merveilles. Mais quand j’étais gosse, moi non plus je n’en saisissais pas la portée. On peut considérer Alice au pays des merveilles et A travers le miroir comme des livres simplement divertissants, mais la plupart des mots renferment une métaphore, une allusion à une personnalité de l’époque. Je me demande vraiment si Lewis Carroll ne se droguait pas. Il était en tout cas très inspiré par ses rêves, par son inconscient. Les gens l’ont parfois accusé de bourrer ses paroles d’absurdités ; les mots qu’il utilise sont toujours saugrenus, étranges, désuets. J’aime tout ce qui relève du non-sens, je suis certain que l’absurde est le reflet de la conscience. En musique, la plupart de mes paroles préférées ont été inspirées par le non-sens. J’essaie d’avoir cette approche de la langue quand j’écris. On me critique souvent en disant qu’on ne comprend pas mes paroles, qu’elles ne veulent rien dire. Mais ça ne m’intéresse pas d’écrire des choses sensées, conformes à la réalité. Moi j’aime cet esprit poétique, un peu ampoulé. J’aime avoir la liberté d’écrire ce qui me plaît juste parce que les mots sonnent bien, créent leur propre musique.
De mes héros, le seul Américain est Woody Allen. Il n’y a rien de patriotique dans le fait que je préfère les Britanniques, c’est juste que la Grande-Bretagne a donné naissance à pas mal de tarés qui sont devenus de grands artistes, en avance de dizaines d’années sur le reste du monde. Beaucoup de gens se sont emparé des idées des penseurs anglais pour les rendre accessibles au public. Musicalement, on a transporté nos idées aux Etats-Unis, qui ont fini par influencer le reste du monde : ainsi, la Grande-Bretagne a produit les Sex Pistols et du coup la terre entière se tape Green Day. Woody Allen, il est entré dans ma vie assez tard, il y a six ans, car mon amie de l’époque était très fan. Elle était juive, elle devait se reconnaître dans une des névrosées mises en scène par Woody Allen. C’est l’homme le plus sexuellement comique qui ait jamais existé. Tout le monde peut s’identifier à ce type impuissant, tel qu’il se décrit dans ses films. Mais lui réussit à faire de ses échecs un art, arrive à transformer quelque chose d’apparemment complètement bancal et handicapant en atout. Même si je ne suis pas malade à ce point, si je ne suis pas le névrosé complètement cinglé qui doit s’allonger constamment sur le divan du psy, ça me touche. Et puis, j’aime le comique de ses dialogues. C’est pour moi un échec de ne pas arriver à être plus drôle dans mes chansons. Mais je n’ai jamais été un amuseur public. Je prends les choses trop au sérieux.
Il a suffi qu’il mette en scène Jagger et Bowie pour que j’aille voir les films de Nicolas Roeg. Après, j’ai découvert qu’il était bien plus qu’un réalisateur rock : il arrive à tirer les meilleures images possible des acteurs, comme il l’a fait avec David Bowie qui n’a jamais été aussi bien filmé depuis dans L’Homme qui venait d’ailleurs. Il a réussi à capturer l’essence même de sa personnalité et a écrit le script autour, très intelligemment. La Randonnée est stupéfiant, il ne s’y passe absolument rien deux gamins se baladent dans le désert , et pourtant c’est le film le plus remarquable et, bizarrement, le plus abordable que j’aie vu. Le grand truc de Roeg est de coller des gens décadents et bizarres dans un environnement décalé. On peut trouver quelques similarités avec Lynch, mais Lynch est nettement moins émouvant. Il transforme des vieux clichés et une imagerie bizarre en une espèce de dessin animé. Je préfère le côté poétique de l’imagerie qu’utilise Roeg.
Ma grande sœur écoutait beaucoup Bowie au début des années 80. Elle passait sans arrêt Changes c’était tout juste accessible pour mon âge. Le trait de génie de Bowie, c’est d’avoir réussi à fouiner à l’avant de l’avant-garde et d’en faire une musique grand public. Moi, je trouve ses chansons plus franches, moins théâtrales que celles de Suede je suis beaucoup plus tordu que lui. Par contre, lui n’est jamais ridicule. Il se doit de toujours renouveler ses personnages. Très peu de gens pourraient y arriver, très peu ont l’air fringants habillés d’une combinaison spatiale grotesque. J’admire également son côté ambigu, le fait qu’il ne corresponde pas au parfait stéréotype du mâle. A l’époque, je ne pouvais pas comprendre qu’il représentait une sorte de danger sexuel pour la jeunesse. J’étais beaucoup trop jeune, je ne savais même pas ce qu’était le sexe. Je le trouvais bizarre et cool, ça s’arrêtait là. Je ne pouvais pas voir non plus son importance culturelle. Il n’a pas vraiment été un modèle pour moi au sens où je ne l’ai jamais copié directement. Mais j’ai été influencé par son attitude, son ambition. Suede continue dans cette tradition de pop-music britannique. J’espère qu’on s’en sort honnêtement, qu’on n’a pas simplement et stupidement piqué des riffs par-ci par-là, comme certains groupes qui font ça très grossièrement. J’espère que les gens ont bien compris notre utilisation de l’héritage.
Comme Frida Khalo, je suis un genre de handicapé. Ses peintures sont extrêmement bizarres. C’était une personnalité fascinante, qui a réussi à transformer son handicap elle boitait et fut paralysée en un art pur et magnifique. Elle a mis toute sa souffrance dans des peintures extraordinaires. Ça ne devait pourtant pas être évident pour une femme d’être artiste au Mexique dans les années 30, c’était une société assez masculine. Souvent, les luttes aboutissent à de grandes créations. J’ai dû me battre également. Evidemment, je n’ai jamais subi d’accident horrible détruisant la colonne vertébrale, comme Frida Khalo, mais j’ai été invalide à ma manière. Parce que mon milieu d’origine était pauvre, tout en étant très éloigné de la camaraderie de la classe ouvrière. N’appartenir à aucune bande, aucune classe, est une position inconfortable : je n’arrivais pas à me situer. Les gens ne comprenaient pas d’où je débarquais. Je n’ai jamais correspondu à un quelconque cliché je ne l’ai jamais cherché non plus , j’ai dû me débrouiller tout seul. Nous, on était pauvres mais bohèmes, les gens ne comprenaient pas ce paradoxe et ne cherchaient pas à établir le contact avec les êtres différents que nous étions.
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