Mal de mères. L’opéra de Vaughan Williams invite à accompagner la douleur de ses héroïnes dans la plus stricte simplicité. Voici sauf erreur, la première version “moderne” d’un des opéras les plus étranges et les plus troublants du xxe siècle. On n’en mettrait pas sa main à couper (ni sa tête au feu), mais on […]
Mal de mères. L’opéra de Vaughan Williams invite à accompagner la douleur de ses héroïnes dans la plus stricte simplicité.
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Voici sauf erreur, la première version « moderne » d’un des opéras les plus étranges et les plus troublants du xxe siècle. On n’en mettrait pas sa main à couper (ni sa tête au feu), mais on ne se souvient pas d’avoir vu ces Riders to the sea au catalogue depuis l’ancestrale version dirigée par Meredith Davies chez EMI (jamais distribuée en France, du reste). Il faut avouer que l’œuvre est peu spectaculaire, frileusement engoncée dans cette espèce de pudeur et de vernis qui ont toujours empêché la musique de Vaughan Williams (1872-1958) d’atteindre à la reconnaissance des foules.
L’action se déroule sur la côte ouest de l’Irlande, où un groupe de femmes voient disparaître leurs fils et frères, pêcheurs que la mer happe et dont les cadavres viennent échouer sur la grève. Rien d’autre : rien d’autre que cette cabane de pêcheurs, ces femmes éplorées autour du poêle et le bruit assourdi des vagues. Le tout dure quarante minutes, quarante petites minutes d’une musique transie et sombre, sans la moindre fioriture. Le mystère plane : Bartley va-t-il rentrer ? Va-t-il finir noyé, comme ses frères ? A qui sont ces vêtements qu’on a retrouvés sur la plage ? Aucune description marine ici, aucune scène de tempête (façon Britten), mais un drame en chambre où les femmes se débattent dans une obscurité affreuse et où leurs chants viennent se lover contre la douceur réconfortante d’un hautbois ou d’un cor anglais. Pas un cri, pas un râle mais, parfois, un sursaut qui vient surprendre la douleur comme un couteau fouaillant une plaie vive. A entendre ces harmonies livides, ces motifs minimaux, on a plus d’une fois l’impression que le compositeur anglais a dû beaucoup écouter Le Château de Barbe-Bleue de Bartok. On se souvient aussi que Vaughan Williams était l’une des idoles de Bernard Herrmann, qui s’en inspira pour écrire son unique et tout aussi poignant opéra, Les Hauts de Hurlevent. « Aucun homme ne peut vivre éternellement, nous devons nous y faire », conclura Maurya, la mère, au terme de ce parcours qui, plus qu’un opéra, est un véritable travail de deuil.
Un voyage intérieur auquel le disque offre un écrin idéal mieux que la scène, où ces Riders n’ont jamais réussi à s’imposer , notamment grâce à Richard Hickox qui dirige ici ce huis clos avec une entêtante sobriété. On l’aura compris, les amateurs de sensations fortes seront déçus.
Ralph Vaughan Williams, Riders to the sea, Northern Sinfonia, dir. Richard Hickox, avec Linda Finnie, Lynne Dawson (Chandos/Média 7)
Jacques-Emmanuel Fousnaquer
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