Comment un obscur film d’horreur a fait (un peu) la nique à David Fincher et Xavier Dolan.
Le premier signal est parvenu des États-Unis, dans la soirée du vendredi 3 octobre. Alors que tous les yeux étaient rivés sur la sortie du nouvel opus de David Fincher, le thriller Gone Girl, adapté d’un best-seller de Gillian Flynn, un petit film d’horreur s’est hissé au sommet du box-office US, défiant tous les pronostics. Son titre ? Annabelle. Son réalisateur ? John R. Leonetti, un obscur faiseur du cinéma bis, auteur de navets mémorables des nineties (Mortal Kombat : Annihilation) devenu chef- opérateur de quelques récents succès horrifiques (Insidious, Piranha 3D). Distribué sur 3185 écrans américains, soit 181 de plus que Gone Girl, cette banale série B a récolté pour son premier week- end d’exploitation 37,2 millions de dollars, talonnant de près le film de David Fincher, qui finissait la course à 38 millions.
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Un habile plan marketing
Quelques jours plus tard, ce succès se confirmait de l’autre côté de l’Atlantique, en France, dans une configuration encore plus étonnante. Face aux sorties simultanées de Gone Girl et du nouveau film de Xavier Dolan, Mommy, tous deux distribués dans un parc de salles conséquent (429 écrans pour le premier ; 315 pour le second), Annabelle prenait largement la tête du box-office avec 78 000 entrées dès son premier jour d’exploitation, devançant de plus de 20 000 entrées ses concurrents malgré une distribution moindre (219 écrans). Aux États-Unis comme en France, ce succès imprévisible restera sûrement provisoire, et l’on peut douter de la carrière finale du film, dont les chiffres devraient être sur le long terme dépassés par ceux de ses prestigieux rivaux. Mais une question demeure : comment un petit film d’horreur sans casting a-t-il pu défier l’adaptation d’un best-seller populaire par un auteur reconnu, et mettre à mal la promotion agressive du nouveau Dolan ? Quelle est la recette d’Annabelle ?
Il ne faudra pas chercher la réponse dans le film lui-même. Tourné à l’arrache, dans des conditions proches du DTV, ce spin-off de The Conjuring de James Wan (autre récent succès surprise et bien plus légitime du cinéma d’horreur), raconte les malheurs d’un couple Wasp des années 70 qui, victime d’un sortilège, se confronte à une série d’évènements paranormaux impliquant poupées sanguinaires et diables cornus. Moins inspiré par le cinéma d’horreur des années 80 (Chucky est une fausse piste) que par celui, psychologique et premier degré, des late sixties, Annabelle décalque au mot près le récit de Rosemary’s Baby et quelques idées formelles de L’Exorciste, qu’il applique aux nouvelles normes du bis industriel. John R. Leonetti y déroule donc son programme ultra formaté à coup de jump scares prévisibles, de bondieuseries décoratives et de digressions mélo très soap, allant jusqu’à subvertir la fin amère du classique de Roman Polanski au profit d’un dénouement consensuel, pas loin du ridicule.
Une horreur mainstream et ludique
Pour expliquer le succès d’Annabelle, il faut alors plutôt se pencher sur son habile plan marketing, déployé presque exclusivement sur Internet via les réseaux sociaux et les sites de partage de vidéos. Il faut aussi se rendre en salle, et faire l’expérience d’une séance publique, où se pressent des nuées de kids qui hurlent à chaque claquement de porte, s’apostrophent et, parfois, déconnent (une salle du réseau UGC à Strasbourg aurait ainsi décidé de déprogrammer le film, suite à des incivilités pendant la projection). Au fond, Annabelle confirme la nouvelle tendance du cinéma d’horreur, devenu un genre à haute rentabilité pour les studios (voir notre enquête publiée l’année dernière) et l’un des plus prisés du public adolescent. Après un bref retour à un cinéma d’horreur brutal et adulte au mitan des années 2000, emmené par une campagne de remakes assez radicaux (L’Armée des morts de Zack Snyder, La Colline a des yeux d’Alexandre Aja, Halloween de Rob Zombie), et la vague éphémère des torture-porn, il semblerait bien que les studios US se soient reconcentrés sur une horreur plus mainstream et ludique.
Tous pilotés par le cinéaste-producteur James Wan, Insidious, The Conjuring et Annabelle ont réinscrit le cinéma d’horreur en tête du box-office et surtout rajeuni son audience. En parallèle à la vague des adaptations de romans pour young-adult, ils ont refait du genre un rituel adolescent, dans une logique d’exploitation qui n’est pas sans rappeler celle qu’a connue le cinéma d’horreur à la fin des années 80 (époque Freddy) et des années 90 (époque Scream). Deux épisodes prospères de l’histoire de l’horreur, qui avaient aussi en commun d’annoncer deux longues crises artistiques et commerciales du genre.
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