Fils d’une légende vivante méconnue de la pop sixties, Morgan venge les défaites de famille avec un premier album funky et glouton, Organized, où turbinent son père, sa mère et ses frères et sœurs. Son rêve : transplanter les organes de Neil Young sur l’orgue de Booker T. Chez les Nicholls, Morgan passe sans doute […]
Fils d’une légende vivante méconnue de la pop sixties, Morgan venge les défaites de famille avec un premier album funky et glouton, Organized, où turbinent son père, sa mère et ses frères et sœurs. Son rêve : transplanter les organes de Neil Young sur l’orgue de Booker T.
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Chez les Nicholls, Morgan passe sans doute pour un fils prodige. L’aîné de la famille n’a pas encore franchi la trentaine mais il possède déjà une carrière discographique de vieux routier des campagnes anglaises : trois albums et des poussières comme bassiste (et occasionnellement clavier) d’un des groupes londoniens les moins sexy de la dernière décennie, les pouilleux trash-pop de Senseless Things, des participations de loin en loin sur quelques galettes d’amis (Vent, Delakota) et enfin aujourd’hui cet Organized orgasmique, premier disque solo déboussolé sur lequel il laisse enfin libre cours à sa fantaisie de butineur musical.
Comparée à celle du fiston, la trajectoire du patriarche, le vénérable Billy Nicholls, ressemble à un pétard mouillé ou à une longue série d’embrassades de platanes. Rappelons qu’avec un seul disque, Would you believe, une merveille de dentellerie pop enregistrée en compagnie des Small Faces, pressé mais jamais vraiment distribué en 1968, Billy Nicholls s’est octroyé une place en tribune d’honneur au jubilé des losers magnifiques. Présenté à l’époque comme le Pet sounds anglais, cet album connaîtra en fait un destin à la Smile : chef-d’œuvre mort-né et objet d’un culte qui fit pendant longtemps la fortune des bootleggers avant sa réédition au grand jour l’an dernier. Personne ne songe néanmoins à plaindre son auteur, car Nicholls Senior a royalement vécu dans l’ombre de ses potes rock-stars, les Small Faces (il fait des chœurs sur Ogdens’ nut gone flake) ou les Who (il fut leur directeur musical et demeure l’un des plus proches amis de Pete Townshend). Il est encore aujourd’hui un quinquagénaire actif qui mijote à petit feu un éventuel retour aux affaires. En attendant, il réédite lui-même et vend principalement en ligne ses anciens disques (trois en tout) et ses demos, chansons avortées et autres vestiges d’une vie d’artiste qui n’a pas tout à fait tourné dans le bon sens.
Pour Morgan, les choses sont plus apaisées : lui n’a jamais manqué de rien, ni de moyens de promotion ni d’opportunités de rendre sa musique accessible à tous John Peel, fondu de Senseless Things, en abusa sur l’antenne de la BBC comme s’il s’était agi des nouveaux Stones. Alors, bon fils, Morgan n’omet jamais de grimper dans son arbre généalogique pendant les interviews, faisant à l’occasion écouter les morceaux en chantier (très réussis) du vieux songwriter et répétant que le seul génie musical de la tribu, c’est bien Billy. Pas question non plus d’enregistrer un album sans le concours du Saint-Père : Billy Nicholls signe la plupart des textes de l’album (« Il sait mieux que moi mettre en images des idées ; sans son concours, je crois que l’album aurait été totalement instrumental ») et prête sa voix caillouteuse sur deux titres, notamment le bouillonnant Paparazzi, le meilleur morceau des Stones depuis Exile on a main street quant à Flying high, c’est le meilleur morceau des Stone Roses depuis leur exil dans le maelström.
Toute la famille Nicholls a ainsi apportéson obole à l’album patchwork de Morgan. William, le petit frère, tête de bois d’à peine 15 ans, tenait l’an dernier la vedette du premier single, Miss Parker, adorable ska juvénile tirant sur le rap buissonnier, enregistré au dictaphone pendant un cours d’histoire géo. Amy, la sœurette, vocalise à son tour sur un titre, tout comme la cousine Rose, alors que la mère, ex-élève des beaux-arts en compagnie de la femme de Pete Townshend, a dessiné la pochette. On n’en est pas encore à parler des Nicholls comme des Osmond, des Jackson ou des Wilson, il n’y a d’ailleurs chez eux aucune envie de faire valoir un quelconque esprit de clan à but lucratif, mais il se pourrait que de cette cellule familiale s’échappent dans les années à venir d’autres disques semblablement agités par les bonnes vibrations qui secouent déjà Organized. « J’ignore s’il existe un trait de caractère propre à ma famille, en tout cas tout le monde à l’extérieur reconnaît qu’il règne chez nous une atmosphère vraiment cool et ça nous pousse sans doute à vouloir travailler ensemble. Il nous arrive souvent de nous coucher à 3 h du matin simplement parce qu’on a passé toute la soirée à discuter et à écouter des disques, nos parents aiment la même musique que nous, il n’est jamais question de conflit de génération. »
Et Morgan d’attribuer aussitôt ses premiers émois musicaux à l’autoradio familial. « Je devais avoir une dizaine d’années à peine et mon père passait toujours la même cassette dans la voiture en partant en vacances. On y entendait deux morceaux d’Hendrix, Pretty vacant des Pistols et un morceau d’Ohio Express. Ce fut le début de mon goût pour la musique et la fin de la tranquillité pour les guitares de collection de mon père. D’ailleurs, s’il ne m’a jamais vraiment encouragé à faire de la musique, c’est avant tout parce qu’il craignait pour ses instruments. »
Maintenant, Morgan torture avec la bénédiction paternelle un orgue Hammond illustre qui est jadis passé sous les phalanges de Pete Townshend et celles, moins délicates, du clavier de Free. C’est peut-être lui, la vraie vedette d’Organized : cet antique et respectable meuble à touches sa pédale wah-wah qui mord férocement les mélodies et son ampli à hélice qui fait vriller les sons tel un ballet d’hélicoptère ou un escadron de libellules évoque la patte de velours funky d’un Jackie Mittoo ou l’exubérance racée d’un Jimmy Smith, dégorge à la chaîne des solos pulsant de groove par toutes les notes, non loin des cabrioles de Money Mark sur la mappemonde des réjouissances contemporaines. Morgan confesse des heures studieuses passées à tenter de percer la sorcellerie des productions Studio One et se dit marqué à vie par le titre qui était numéro un des charts durant l’été de ses 10 ans : l’insurpassable Ghost town des Specials. « Je pensais au départ réaliser un disque instrumental composé essentiellement de breakbeats et d’orgue jazzy. Très vite, ma musique sonnait comme de l’acid-jazz, sans aucune originalité, alors j’ai décidé de la laisser divaguer, d’y introduire tout ce qui passait par là, de faire appel à toutes les bonnes volontés. Certains des titres de l’album remontent à cinq ou six ans en arrière. Quand Miss Parker s’est mis à marcher et qu’il a fallu songer à un album, je suis allé fouiller dans tous les sacs remplis de cassettes demos que j’accumulais depuis des années et dont je pensais n’avoir jamais à me servir. Certains morceaux proviennent de bandes 4-pistes enregistrées quasiment dans un placard que j’ai simplement retouchées en faisant attention de préserver les vibrations originelles. »
Planant au-dessus de l’album pendant sa maturation, quelques disques charnières de la vie de Morgan lui auront indiqué les pistes à suivre ou les sillons à creuser : un exemplaire du Déjà vu de Crosby, Stills, Nash & Young trônait ainsi en permanence dans un coin du studio et un Dr John période swamp-soul devait sans doute aussi traîner par là, comme en témoigne le très gargouillant Here comes the rain. « J’ai eu la chance de vivre quelque temps à San Francisco avec mes parents, dans les années 70, et peut-être qu’au fond de ma mémoire sont restés gravés des impressions et des sons californiens qui remontent à cette époque. Un disque comme Déjà vu a toujours fait partie de ma vie, je l’écoute depuis que je suis né et c’est encore pour moi un exemple, un mètre étalon, notamment pour les sons de guitares acoustiques 12-cordes. Et puis je suis évidemment un immense fan de Neil Young. Mon meilleur souvenir de concert, c’est Neil Young accompagné par Booker T & The MG’s. C’est pour moi la représentation la plus proche d’une musique absolue, idéale. »
Morgan, surnommé M. Organ, possède déjà l’orgue et la touche pneumatique d’un Booker T, son père peut lui refiler des tuyaux sur l’art d’écrire des mélodies crève-cœur, il ne lui reste donc plus qu’à attendre de vieillir dignement pour envisager des ballades sur le Neil.
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