Les experts sont formels : l’Elvis des seventies est un veau de mer. C’est pourtant avec son costume de cuir blanc boudiné qu’on le préfère. C’est, de l’avis des experts en elvisserie, le pire de tous les Elvis. Un Elvis encore plus renégat pourri dégoûtant que l’imposteur gommeux revenu de son service militaire en Allemagne. […]
Les experts sont formels : l’Elvis des seventies est un veau de mer. C’est pourtant avec son costume de cuir blanc boudiné qu’on le préfère.
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C’est, de l’avis des experts en elvisserie, le pire de tous les Elvis. Un Elvis encore plus renégat pourri dégoûtant que l’imposteur gommeux revenu de son service militaire en Allemagne. Un Elvis barbapapa, loukoum changeant de forme au rythme de ses costumes en cuir à cailloux précieux ringards, une ceinture, dont on ne voudrait même pas pour accrocher le rideau de douche, tentant courageusement de faire le tour du bas-vent: re plus du tout sexy. C’est l’Elvis des seventies, l’Elvis de Las Vegas, l’innommable, l’inavouable, aussi élégamment sapé que les frangins Thémistècle. Un gros thon archidrogué, qui ne profite même pas de ses dernières heures sur la terre des hommes pour redresser la tête et enfin se mettre à composer, a sauver l’honneur par la plume, par quelques chansons indécemment personnelles. Et pourtant, quand il chante Dylan, Kris Kristofferson, Tony Joe White, Creedence ou Hank Williams (« Ceci est probablement la chanson la plus triste que j’aie jamais entendue ») avant de se lancer dans un I’m so
lonesome I could cry chialard à souhait) , on pardonne beaucoup à cet Elvis du ridicule. Après tout, Burt Bacharach a réussi à composer quelques-unes des plus belles chansons de l’histoire du monde libre pour les autres, tout en persistant à les chanter lui-même comme un gigot d’agneau. Ça s’appelle la séparation propre. Car il faut l’entendre roucouler, satiner, trifouiller ses cordes vocales avec une jouissance perceptible, tenir son fauve de voix bien en laisse, lui faire faire le beau, des sprints, (les sauts périlleux, des câlins’ Car c’est dans cette mer calme de miel et de sucre qu’on préfère le voir nager (en planche, sans effort), plutôt que dans ces crawls frénétiques qu’il livrait dans les cascades des vieux rockab. Une voix à faire oublier des arrangements dont même Joe Dassin aurait soupçonné le pompiérisme (You dont have to say you love me), à faire supporter des groupes à l’insignifiance insultante (Patch it up), à la niaiserie navrante (I have got a thing about you baby ou Promised land), une voix à faire tenir fièrement debout des scies comme It’s only love. Et plus Elvis s’enfonce dans les seventies, plus sa musique devient confuse, à la fois scandaleusement banale et hallucinée, déroutante, fascinante, débordant de trompettes hispaniques, de violons fiévreux, d’envolées proprement stupéfiantes (pour l’anecdote, on repère alors dans son groupe Jerry Scheff, qui illumina l’année passée l’album de Ron Sexsmith). Parfaitement largué, Elvis vogue sur une tumultueuse mer de cordes avant de se laisser gagner, hagard, par d’effroyables remontées de rockab huilé au cholestérol. Une schizophrénie totale d’où émergent quelques rencontres au sommet entre sa voix alors parfaite et des chansons enfin dignes de ce nom (Suspicious minds que quelques musiciens pourtant particulièrement épouvantables n’arrivent même pas à gâcher, Always on my mind éternellement bouleversant). Deux ans de plus et, c’est certain, Elvis larguait définitivement les amarres avec toute musique cataloguée ici-bas, inventait le romantique gothique, le symphonique psychiatrique. Et on tenait là un nouveau Scott Walker. Ou un pitoyable Dick Rivers pour rombières de sous-préfecture. Dans le doute, on se contentera de penser que la mort lui va finalement assez bien.
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