Lascif et mélancolique comme le meilleur Marvin Gaye, l’album impudique d’une farouche solitaire. Dans le jargon des éleveurs, maverick désigne la bête récalcitrante, celle qui rue et refuse d’entrer dans l’enclos où elle sera castrée. Depuis sa création, le label de Madonna n’avait encore jamais justifié la philosophie artistique qu’une telle estampille promet. Faut-il rappeler […]
Lascif et mélancolique comme le meilleur Marvin Gaye, l’album impudique d’une farouche solitaire.
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Dans le jargon des éleveurs, maverick désigne la bête récalcitrante, celle qui rue et refuse d’entrer dans l’enclos où elle sera castrée. Depuis sa création, le label de Madonna n’avait encore jamais justifié la philosophie artistique qu’une telle estampille promet. Faut-il rappeler que ce jeune catalogue, à force de s’intéresser exclusivement à des talents suivistes (Alanis Morissette, Candlebox) s’apparentait plutôt à cette marque que l’on imprime sur le flanc préalablement tondu des moutons lorsqu’il s’agit d’identifier le cheptel. A moins que, stratégie oblige, l’esprit grégaire manifesté par les uns serve à mettre en lumière la rebellion d’une seule. Ainsi revient Me’Shell dont le patronyme, Ndegeocello, à la prononciation peu commode signifie en langue swahilie « libre comme l’oiseau » devenant en l’occurrence un signe de prédestination, à l’affranchissement comme à l’élévation. Le précédent album, Plantation lullabies, conjuguait, selon l’avis d’un journaliste américain, la soul, le jazz, le funk et l’esprit hip-hop. Or, sans vouloir déprécier les mérites d’une musique plus protéiforme que véritablement inédite, ce que révélait ce premier envoi, c’était une personnalité forte, originale et singulièrement attachante. Imaginez Sinead O’ Connor sans le profil d’histrion redresseur de torts que la tondue se plaît à offrir aux médias. Imaginez Tracy Chapman à qui l’on aurait greffé la sensualité de Neneh Cherry sans en exciser la conscience politique. Si les qualités du premier album sont confirmées sur ce Peace beyond passion, c’est en partie grâce au producteur David Gamson qui, tout en reconduisant la même équipe dont le saxophoniste chippendale Joshua Redman et l’ancien guitariste de Marvin Gaye, Wah Wah Watson , a su judicieusement étoffer son casting. Recruter la précieuse Wendy Melvoin, dont la guitare feule et écume sur God Shiva avec la même fureur féline qu’à l’époque où elle grattait derrière Prince, relève de ces détails de production qui rendent cet album un peu spécial. Peace beyond passion luit comme une ville américaine dont Curtis Mayfield serait le maire, Isaac Hayes le sheriff et Marvin Gaye le pasteur. Un disque très seventies soul avec des guitares wah-wah. Planté en son centre, ce déluré bout de femme noire, instrumentiste accomplie, macère dans un inner city blues opaque et se vautre dans les draps d’un sexual healing, là où s’allument et se consolent toutes passions. Un disque qui oscille constamment entre la dépendance (Stay, Bittersweet, Faggot, A Tear and a smile) et la délivrance, ou l’espoir de celle-ci (God Shiva, Free my heart), puis retrouve un fragile équilibre en passant dans le chas d’un mysticisme jouisseur, sans religiosité. Comme sur le précédent, la jalousie sexuelle s’y exprime crûment, attisant ce désespoir génétique dont elle confesse l’emprise dans sa version du Make me wanna holler de Marvin Gaye, avec cette triste lascivité qui imprégnait ses derniers et ses plus beaux enregistrements. Et tout cela sans jamais céder à la facilité, sans souscrire au registre de la provocation, juste avec l’impudeur sans affect des gens blessés qui préfèrent la scène ou le pilori à la consolation du troupeau.
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