Inventeur de ce qu’on a appelé le free-jazz, Ornette Coleman est l’homme libre par qui le scandale est arrivé. Après huit ans de silence discographique, le saxophoniste-trompettiste-violoniste signe Tone dialing.Avant d’investir la scène de l’Olympia. L’événement est d’importance. Omette Coleman na pas sorti d’album depuis le bien nommé Virgin beauty, il y a huit ans. […]
Inventeur de ce qu’on a appelé le free-jazz, Ornette Coleman est l’homme libre par qui le scandale est arrivé. Après huit ans de silence discographique, le saxophoniste-trompettiste-violoniste signe Tone dialing.
Avant d’investir la scène de l’Olympia.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’événement est d’importance. Omette Coleman na pas sorti d’album depuis le bien nommé Virgin beauty, il y a huit ans. Sous contrat avec Verve-Polygram France pour la distribution, de Tone dialing, premier opus du label Harmolodic que son fils Denardo vient de créer, Omette Coleman se prête pour la première fois au jeu des interviews à la chaîne dans un grand hôtel parisien. Jusqu’à présent, chaque entretien était accordé très parcimonieusement, en exclusivité. Peu enclin aux techniques de la promotion, du marketing et autres avatars de la communication contemporaine, il répond néanmoins avec beaucoup d’amabilité au déluge de questions, d’une voix posée au léger zozotement. L’homme est paisible, timide, presque gêné par ce soudain intérêt, pour le moins tardif, suscité par sa personne et/ou sa musique. Lui qui est la discrétion même, lui qui na jamais couru après la notoriété. Imperméable aux diatribes, inflexible aux modes et concessions qui les génèrent, il s’est toujours tenu à l’écart des feux de l’actualité, du tapage médiatique, suivant un parcours rectiligne, exigeant et rare. Bien malgré lui, Ornette Coleman (né le 19 mars 1930 à Fort Worth dans le Texas ségrégationniste) est une légende, un mythe. A lui seul, un pan entier de l’histoire de la musique afro-américaine. L’histoire de sa musique, pas vraiment récente mais toujours aussi actuelle, a fait couler beaucoup d’encre et quelques larmes. Plus de trente ans après l’émergence du mouvement free dont Ornette Coleman est l’initiateur, les positions restent toujours aussi radicales – la beauté révulse toujours les bien- pensants et les mauvais coucheurs.
L’apparition du free-jazz a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde du jazz, a donné lieu à la vieille et sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes, guerre jazzistique des boutons version sixties entre « mouldy figs » (« figues moisies », partisans de la tradition be-bop) et « sour grapes » (« raisins aigres », défenseurs de la New Thing). Et quel fut l’objet de ces nombreuses indignations et polémiques, anathèmes et excommunications que suscitèrent aussi, en leur temps, les compositeurs de l’Ecole de Vienne ? En deux mots, Free jazz. Une évidence, un pléonasme ? Le titre de cet album révolutionnaire paru sur Atlantic, enregistré le 21 décembre 1960 par l’orchestre d’Ornette Coleman composé de huit musiciens (moment d’exacerbation du mouvement des droits civiques aux Etats-Unis, période de décolonisation, etc.), est devenu un manifeste, le théorème souverain d’un nouveau style musical. »Il ne faut pas cataloguer la musique) ça c’est pour le business, explique Ornette Coleman. J’ai fait un disque appelé Free jazz. La musique que j’ai toujours jouée, je l’appelle harmolodique. C’est une musique qui permet à n’importe quelle personne de participer en fonction de l’information qu’une autre vous donne. Vous me donnez une information, je la prends et vois ce quelle signifie pour moi. Et je vous la renvoie en fonction de ce qu’elle veut dire pour moi sans changer ce quelle signifie pour vous. Cela permet à chacun d’être un individu qui na à imiter personne d’autre. C’est la philosophie de la musique harmolodique. Aussi, dans ce cas, de nombreux styles musicaux participent du concept. En fait, l’harmolodie n’est pas un style, c’est une philosophie, un concept. C’est aussi une philosophie de vie. »
Le concept d’harmolodie sur lequel il doit écrire un traité demeure flou, même au plus féru des musiciens. Ses titres d’album sont bien plus explicites, Something else!!! Tomorrow is the question, The Art of improvisers, The Shape of jazz to corne. Change ofthe century, This is our music, Free jazz (récemment rassemblés sous la forme d’un coffret chez Atlantic, Beauty is a rare thing) : des titres en forme de manifestes qui donnent le la. Quelque chose d’autre… De par la volonté de se soustraire au cadre rigide d’une tradition à bout de souffle. Ornette Coleman transgresse les codes autant musicaux que sociaux – on lui fera chèrement payer ses tenues vestimentaires excentriques, son saxophone alto en plastique : à la sortie d’un club, des spectateurs littéralement ulcérés par sa musique lui cassent le bec de saxophone dans la bouche. Il
entreprend une libération des formes préexistantes, manifeste un irrespect total des progressions d’accords préétablies, fait fi des tonalités, joue sur les timbres, convoque des sonorités « sales » et « fausses », part à la redécouverte des musiques du monde. Le thème perd sa place centrale ; le swing, garant de l’institution rythmique, ainsi que la structure harmonique sont remis en cause. Solistes et accompagnateurs jouent un rôle égal, le rapport des musiciens au sein du groupe est repensé, et donc la forme de l’improvisation collective. Musique de l’instant à venir, de l’aspiration à la liberté, de la libération, du dynamitage des valeurs établies, la free-music relève moins d’un style que d’un certain état d’esprit, constitue moins une forme qu’une dynamique. Libérer son discours, pousser à l’extrême l’expression de l’émotion dans une frénésie libertaire, dans l’exigence formelle et le plaisir immédiat, tel pourrait être le credo des musiciens free. « Cette musique, c’est aussi la lourde évidence que quelque chose se passe vraiment. Bien qu’ignorée généralement et/ou injuriée par la majeure partie des critiques (blancs pour la plupart), qui ne comprennent pas le contexte émotionnel dont cette musique charge la vie. Les gens qui font cette musique sont des intellectuels ou des mystiques (ou les deux à la fois). La sensibilité du blues et l’énergie du rythme noir sont projetés dans l’aire de la réflexion », écrit le poète Leroi Jones. Dans les années 60, Georges Perec, auteur des Choses, s’interroge sur « la chose », la New Thing: « Le free-jazz constitue peut-être une réponse que l’écriture chercherait encore. Il constitue un bond en avant irrésistible, après lui le jazz ne peut survivre dans les formes qu’il avait jusqu’alors connues, à tel point que les musiciens que le free-jazz n’a pas encore conquis (ou simplement contaminés) nous semblent repoussés dans une ancestralité que nul revival ne saurait ranimer. » La formule est prophétique. Au moment même où le phénomène revivaliste prolifère, un grand nombre de musiciens actuels, de la nouvelle scène new-yorkaise à la jeune garde qui s’illustre aux Instants Chavirés de Montreuil, reconnaissent en Omette Coleman leur père spirituel. Même Lou Reed et Thurston Moore disent avoir tiré de sa musique quelques précieux enseignements.
L’heure est donc au Prime Time, l’orchestre harmolodique d’Ornette Coleman, cette formation free-rock-funk qu’il a créée en 1975, parallèlement à son quartette acoustique. « Le Prime Time (un saxophone, un clavier, deux guitares, deux basses, une batterie, des tablas et des percussions) est une proposition. Pour moi, cette formule est la plus appropriée pour jouer de la musique improvisée. Au fond, quand vous parlez de jazz, c’est la partie improvisée de cette musique que les gens aiment entendre. Avec le Prime Time, on peut dire que les parties écrites sont aussi improvisées que les improvisations elles-mêmes », explique-t-il. Particulièrement bien produit par Denardo Coleman, son fils mais aussi le batteur et manager du groupe, Tone dialing constitue le tout premier volume du label Harmolodic et l’illustration sonore des multiples facettes de la musique d’Ornette Coleman ainsi que l’aboutissement, dans l’inachevé, de ses conceptions harmolodiques. Ces effets de masse orchestrale, ces imbrications de timbres, ce flot de lyrisme permanent, ces compositions « naïves », ces mélodies d’une simplicité riche, c’est-à-dire complexe ? malgré ce qu’on a l’habitude de dire, Ornette Coleman est l’auteur de compositions qui résistent au temps, The Blessing, Ramblin’, Peace, Lonely woman… Avec ce superbe son d’alto, cette sonorité écartelée, tranchante et lyrique, lancinante et déchirée qui lui est propre. Sa musique est non dénuée de mystère, à la fois porteuse de sens et d’un questionnement perpétuel, placée sous le signe de l’utopie réalisée et de la révolution permanente, Et si elle atteint au sublime, à l’inouï, c’est à force de fragilité. D’où vient-elle, où va-t-elle ? Qui le sait ? Le saxophoniste Julian « Cannonball » Adderley témoigne : « Ornette a été une grande force dans le jazz moderne ; il a inspiré un tas de gens, il en a dégoûté un tas d’autres, mais il a obligé tout le monde à penser. » La musique d’Ornette Coleman na effectivement pas fini de questionner le monde.
{"type":"Banniere-Basse"}