Les ailes du martyr. Mis à l’index par les nazis, cet opéra révèle pourtant un romantisme éminemment germanique. Le mérite de la série “musique dégénérée” de Decca n’est pas seulement de ressusciter certaines œuvres méconnues de compositeurs voués aux gémonies par le IIIe Reich. Outre l’engagement de son promoteur Michael Haas et l’enthousiasme des interprètes […]
Les ailes du martyr. Mis à l’index par les nazis, cet opéra révèle pourtant un romantisme éminemment germanique.
Le mérite de la série « musique dégénérée » de Decca n’est pas seulement de ressusciter certaines œuvres méconnues de compositeurs voués aux gémonies par le IIIe Reich. Outre l’engagement de son promoteur Michael Haas et l’enthousiasme des interprètes qu’elle réunit, elle met habilement en lumière, dans une fin de siècle aussi bien marquée par l’enterrement des querelles musicales doctrinales que par la résurgence des intolérances sociales et ethniques, l’absurdité idéologique et les contradictions esthétiques du national-socialisme. Totalement inconnu en France, Walter Braunfels fait partie de ces auteurs condamnés au silence qui, bien qu’ayant choisi la voie de l’émigration intérieure tandis que d’autres prenaient le chemin de l’exil, ont été victimes d’un double assassinat. Initiées par les timides honneurs rendus après la guerre en République fédérale, les tentatives de reconquête n’ont guère compensé un processus d’oubli irrémédiable ou une présence désormais gênante au sein de la nouvelle avant-garde. Braunfels incarnait pourtant une tendance modérée, voire conservatrice, qui aurait dû lui valoir, si ce n’est l’assentiment, du moins l’indifférence des nazis. Il n’est rien dans sa musique qui puisse l’assimiler aux tendances radicales de l’avant-garde de Weimar exécrée par ces derniers : ni l’écriture atonale et sérielle d’un Schönberg, ni l’engagement politique et social d’Eisler ou Weil, encore moins le mélange d’expressionnisme ou de dadaïsme qui caractérise le jeune Hindemith. C’est qu’il appartient davantage à la génération de Pfitzner et de Schillings, les deux principales références musicales des milieux conservateurs. Ce dernier ne tarira d’ailleurs pas d’éloges sur Les Oiseaux, une « œuvre profondément germanique qui enrichit l’art allemand ». Mais Braunfels était demi-juif : ce qui aurait pu encore retarder sa mise à l’index fut aggravé par son refus coupable, au début des années 20, de composer un hymne pour le jeune parti d’un certain Adolf Hitler. Qui ne s’engageait pas pour le Führer était contre lui. On ne lui pardonnera pas ce crime de lèse-majesté. Pourtant, parmi les adeptes de la nouvelle Allemagne, beaucoup durent regretter la musique de celui qui, loin de « bafouer l’héritage musical allemand », en recueille au contraire la sève au sein d’un langage postromantique d’une transparence mozartienne. Créé à Munich en 1920 par le charismatique Bruno Walter, l' »opéra fantastique » Les Oiseaux tire sa substance d’une comédie d’Aristophane et confronte les mondes cloisonnés des hommes, des oiseaux et des dieux. C’est une fable sur l’échec de l’émancipation sur fond de romantisme éminemment germanique. La scène d’ivresse nocturne entre l’amoureux déçu et le rossignol, figure emblématique incarnant l’âme de la nature au même titre que l’oiseau de la forêt dans Siegfried, doit beaucoup aux Hymnes à la nuit de Novalis dont Wagner s’est souvenu dans le duo d’amour du deuxième acte de Tristan. Et les citations d’Eichendorff contenues dans le livret nous plongent dans l’univers des grands lieder de Strauss. Pourtant, peu de choses ici, à part le déchaînement orchestral consécutif au courroux divin, rappellent les lourdeurs postromantiques. A vrai dire, on sort de ces deux heures vingt de musique des étoiles plein les yeux. Aérienne, la soprano Hellen Kwon foule dignement les terres de la légendaire Maria Ivogün. Lothar Zagrosek, de toutes les grandes aventures de cette collection, a réuni autour d’elle une distribution convaincante. Quant à l’Orchestre de la radio de Berlin, n’a-t-il pas trouvé là son répertoire d’élection ? On piaffe d’impatience dans l’attente de nouvelles dégénérescences.
Walter Braunfels, Die Vögel (Entartete Musik/Decca)