“Je n’ai peut-être pas joué dans le plus grand groupe de tous les temps, mais sûrement dans le groupe au plus beau nom de tous les temps.”Un patronyme d’une simplicité biblique, précédé d’aucun article parasite, qui eut sa part dans le concert de jalousie qui entourait Love à ses débuts. Auparavant, Love s’était appelé Arthur […]
« Je n’ai peut-être pas joué dans le plus grand groupe de tous les temps, mais sûrement dans le groupe au plus beau nom de tous les temps. »
Un patronyme d’une simplicité biblique, précédé d’aucun article parasite, qui eut sa part dans le concert de jalousie qui entourait Love à ses débuts. Auparavant, Love s’était appelé Arthur Lee & The LAGs, le groupe de Los Angeles ? en hommage à Booker T. & The MGs, le groupe de Memphis, la ville d’origine d’Arthur Lee ?, puis American Four et enfin The Grass Roots, avant de devoir encore changer de nom car un homonyme sévissait déjà à Los Angeles. Premier groupe rock signé par le prestigieux label Elektra, Love suscitait donc dès 1965 toutes les convoitises. La légende prétend que les Stones, en virée au Brave New World, un café de Los Angeles, furent tellement impressionnés en voyant Arthur Lee et son groupe torturer pendant une demi-heure le classique Smokestack lightning, mélangé à la première mouture de Revelation, qu’ils rentrèrent illico au bercail pour composer Goin’ home, l’un des sommets d’Aftermath. Egalement réputé pour ses performances incendiaires sur les planches du Bido Lito’s ou du fameux Whisky A Go Go, où il exécutait des versions entièrement remaniées de hits comme Hey Joe ainsi qu’une poignée de chansons originales redoutables. Love fut dès ses premières heures un groupe auquel la jeunesse de Los Angeles voulut s’identifier. On sait, par exemple, que Jim Morrison aurait volontiers accepté de tondre sa belle crinière, qu’il aurait renoncé au bourbon et aux filles pour apparaître dans un tel groupe. L’ironie voudra que les Doors – le groupe au pire nom de tous les temps ? grillent Love sur la dernière marche menant aux portes de l’Olympe : Forever changes, le troisième album de Love, précéda pourtant de quelques semaines Strange days dans les bacs des disquaires.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
L’année 1967. trop riche en chefs-d’œuvre, ne pouvait célébrer équitablement deux groupes évoluant dans un même périmètre ? le Sunset Strip de Los Angeles – et ce fut Love qui passa à la trappe. Arthur Lee ? qui avait conseillé à Jac Holzman, le patron de son label, d’aller voir les Doors sur scène – introduisit sans le vouloir son principal prédateur dans la bergerie Elektra. En quelques mois, Morrison lui piqua sa copine ? Pamela Courson – et la vedette, à la fois sur les frontons de tous les clubs à la mode et dans les bureaux d’Elektra. Love ne portait pas seulement le plus beau nom de sa génération, c’était aussi le plus grand groupe d’une certaine Californie : celle qui refusa de s’abandonner mollement à la paresse. Pour coller à son temps, le métis Arthur Lee aurait dû normalement faire sonner son groupe comme une tribu vaudou, à la manière d’Hendrix, et continuer dans la voie tracée par l’épuisant Revelation, qui remplissait à lui tout seul la seconde face de Da capo. Devant l’encombrement provoqué par l’arrivée en masse de nouveaux groupes psychédéliques – très touristiques et mineurs – au carrefour de 1967, Arthur Lee opta au contraire pour des chemins de traverse. En refusant de participer au festival de Monterey – évoquant d’obscures divergences avec l’organisateur Lou Adler – il commit la double erreur d’abandonner son jeune leardership à ses principaux rivaux et de se mettre à dos l’un des personnages les plus puissants du rock-business de Los Angeles. Fortement marqué par le parcours triomphal des Beatles, comme par la partition exemplaire de Gil Evans sur le Sketches of Spain de Miles Davis, il prit alors le risque de retirer son groupe de la compétition acid-rock. Après un premier album en 1966, sobrement intitulé Love et encore marqué par l’influence du rhythm’n’ blues. Love avait de toute façon contribué, dès le début de l’année suivante, à amorcer le tourbillon psychédélique. Avec des titres comme Orange skies, She comes in colors ou les dix-neuf furieuses minutes de Revelation, Da capo, le second album de Love, publié en janvier 1967, s’imposa en mètre-étalon de l’acid-rock par ses incandescentes mélodies comme par ses outrances expérimentales. Lee jugea alors inutile de chercher à produire un Da capo-bis, ne voulant probablement pas surenchérir la stérile compétition interne qui opposait Love et les Doors. Pourtant, tous les acteurs de l’époque le confirment : on doit le troisième album Forever changes à une somme de renoncements de la part d’Arthur Lee. A l’origine, Neil Young devait se charger de la production du disque. Les chansons étaient prêtes, le feu vert lancé, lorsque Young se désista en dernière minute, préférant se consacrer à Buffalo Springfield, dont le succès allait en grandissant. Entre autres accès d’orgueil, Lee prétendra souvent par la suite avoir lui-même congédié Young, ce que dément fermement son entourage de l’époque. Si l’on ignore à quoi aurait pu ressembler l’album sous la direction du Canadien, il est clair que le résultat aurait été complètement différent, voire opposé. On sait notamment qu’Arthur Lee ne voulait pas, dans un premier temps, entendre parler de cordes. C’est Bruce Botnick, l’ingénieur du son maison d’Elektra, et Jac Holzman lui-même qui finirent par le convaincre de s’adjoindre les services de l’arrangeur David Angel. Consciemment ou non, Holzman essaya de recycler Love en un groupe de love-songs et Lee accepta d’aller encore plus loin qu’il ne l’imaginait au début dans sa révolution personnelle. Ses textes oniriques, aux allusions parfois salaces, empêcheraient, quoi qu’il arrive, son groupe de pénétrer les foyers de l’Amérique profonde. L’autre artisan du « son » Forever changes n’est autre que Bryan Maclean, le demi-frère de Maria McKee et éternel second d’Arthur Lee : second guitariste, second chanteur, second compositeur, bref, second couteau. Déjà responsable de l’éclatant Orange skies sur Da capo, c’est lui qui compose Alone again or et surtout Old man, dont la ligne mélodique est inspirée par le Lieutenant Kijé de Prokofiev, On doit ainsi à Maclean ? Monsieur Propre ? ? une part trop souvent oubliée dans la chorégraphie de l’harmonieux ballet aérien auquel se livrent tout au long de l’album les cordes, les chœurs et les guitares acoustiques. Peu de disques sortis à cette époque affichent un tel pedigree, nourri à parts égales par le folk-rock des Byrds et par les airs sucrés des comédies musicales de Broadway, dont Maclean était un fervent consommateur. L’étrange bâtardise de Forever changes contribue autant à sa magie que les chansons elles-mêmes : il est le premier disque d’un genre nouveau, auquel d’autres Californiens illustres ? Randy Newman, Van Dyke Parks, Hariy Nilsson ? ne cesseront de rendre grâce dès l’année suivante. Comment ne pas évoquer aussi l’influence qu’eut Love sur les Beatles, supposés imperturbables, lorsque certains passages d’ Abbey Road affichent des ressemblances parfois troublantes avec Forever changes. En résumé, toutes les tentatives d’adjonction d’éléments orchestraux ? avec goût et mesure ? dans le strict cadre de la pop trouvèrent en Forever changes un modèle absolu.
En fréquentant sans complexe les spacieuses avenues hollywoodiennes du easy-listening, Love s’offrit même un ultime plaisir : brocarder Burt Bacharach sur ses terres. En 1966, en effet, le compositeur de My little red book? extrait de la BO de What’s new pussycat ? piqua une grosse colère en entendant le traitement infligé à sa chanson par ces jeunes morveux, qui avaient choisi de reprendre ce titre pour leur premier single. Après l’avoir défenestré du haut de leur jeunesse impétueuse. Love semblait vouloir porter le coup de grâce en copiant son style flamboyant. En 1967, Bacharach plaçait dans les hit-parades A House is not a home, on doute que le A House is not a motel d’Arthur Lee ne soit qu’une pure coïncidence. La fluidité incomparable qui prédominait sur les onze titres de Forever changes aurait du logiquement affirmer la réputation de Love, capable à l’instar des Beatles et des Byrds de prendre des risques et d’emprunter des voies résolument nouvelles. Au lieu de ça, Forever changes restera comme un flop magistral, nullement corrigé par la désastreuse carrière du disque en Europe. Album maudit ou tout du moins délaissé, il ne révélera ses inusables splendeurs que bien des années plus tard, à la faveur de déclarations transies provenant de quelques groupes très chers : les Pale Fountains n’ont jamais tenté de dissimuler les nombreux emprunts contractés auprès d’Arthur Lee ? ils finiront par le rembourser d’une traite en l’accompagnant sur scène lors d’un inoubliable concert parisien ?, les Boo Radleys avoueront sans honte avoir pillé Alone again or? qu’ils ont par ailleurs repris ? pour écrire leur propre Spaniard, sans parler des Damned, de Billy Bragg ou de Mazzy Star, pour ne citer que les plus dignes. Même le très inférieur Four sail, quatrième et dernier album de Love pour Elektra, enregistré à la hâte par Arthur Lee et quelques musiciens à la main lourde afin de boucler le contrat, parviendra à faire un meilleur score. Parmi les titres de Four sail inclus sur le coffret Love story, on sauvera tout de même le très nostalgique et charmant Your friend and mine et le curieux Robert Montgomery, pastiche grossier d’ Eleanor Rigby. Hormis le délicat Listen to my song, les chansons extraites des deux derniers albums de Love ? Out there (1969) et False start (1970) ?également sélectionnées pour cette nouvelle anthologie, ne figurent pas non plus au rang des pièces essentielles, pas plus que les albums solo d’Arthur Lee dans les années 1970. Burt Bacharach, encore lui, popularisa la même année que Forever changes, par la voix de Dionne Warwick, cet autre titre : What the world needs now is love. Les Beatles, eux, chantaient dans les transistors All you need is love. Arthur Lee connaîtra des années de pénitence avant qu’on s’aperçoive à quel point on avait besoin de Love.
{"type":"Banniere-Basse"}