Chaîne rouillée. En deçà du terrifiant American recordings, Unchained ne bouleverse que sur deux reprises : Spain et Soundgarden. Son meilleur public, il l’a croisé dans les prisons. A San Quentin, Folsom ou Starkville City Jail, il chantait devant des assemblées de bagnards extatiques. Parmi eux se trouvaient des violeurs de petites filles, des types […]
Chaîne rouillée. En deçà du terrifiant American recordings, Unchained ne bouleverse que sur deux reprises : Spain et Soundgarden.
Son meilleur public, il l’a croisé dans les prisons. A San Quentin, Folsom ou Starkville City Jail, il chantait devant des assemblées de bagnards extatiques. Parmi eux se trouvaient des violeurs de petites filles, des types qui avaient suriné leur maman avec un couteau à pain, étranglé leurs propres gosses en souriant. Johnny Cash semblait être le seul capable de se mesurer de la voix à ce barbare échantillonnage de destins abîmés, ce cageot de fruits blets dont personne ne voulait plus. La solitude qui habille ses personnages, contrairement à celle exprimée par Roy Orbison, n’a rien de stylisé, ne cherche jamais à émouvoir. Elle est âpre et assumée. Elle n’est pas non plus le produit d’une célébrité qui va en déposséder plus d’un de sa propre vie. Presley notamment. A chaque refrain, on croit l’entendre confesser, fataliste : « De vieilles blessures m’ont rattrapé et j’en ai reçu de nouvelles.« Bien qu’il ait beaucoup baigné dans la lumière, Cash n’a pourtant jamais perdu son ombre. Sa carrière n’a pas toujours été maîtrisée ; sa vie le fut moins encore. Quand il épuisa tous les abus, que son corps et sa raison demandèrent grâce, il ouvrit grand la porte à Jésus-Christ. Il devint l’ami du prédicateur Bill Graham qui l’emmenait dans son cirque évangélique exhibant ce pauvre junkie quadragénaire comme l’image même du repentir. Mais de vieilles blessures le rattrapèrent et il en reçut de nouvelles. Dix ans plus tard, Rick Rubin le fait enregistrer American recordings dans son salon et lui restitue définitivement ce dont la pénitence l’avait partiellement dépouillé : sa part maudite. Comme un homme à qui l’on rend ses revolvers, il retrouva sa fierté et cette étrange, terrifiante lueur qui passe dans son regard sur la photo de pochette et qui nous dit qu’il retrouva bien plus encore. Quand il chante « Oh Dieu, aide la bête en moi », sa voix descend si loin dans les graves qu’elle se fait sépulcrale, qu’elle caresse avec une infinie tendresse le démon lové dans ses tripes. Naturellement, American recordings est une oeuvre insurpassable avec laquelle Unchained ne rivalise presque jamais. En théorie, lui faire entonner du Beck (Rowboat) semblait une séduisante initiative. Mais l’ogre donne l’impression d’être à l’étroit dans les baskets du petit poucet blond. La voix est toujours mal placée et le ton badin lui sied autant qu’un classique d’Annie Cordy à Maria Callas. Quelle idée, non moins saugrenue, de le faire sauter à pieds joints dans cette bouse de vache qu’est Southern accents. La pire chose dont Tom Petty puisse être fier est bien cette ode lamentable à la plouquerie plastronnante. De complaintes de la dernière pluie en rengaines harassées de naguère, cet album cherche la bonne pioche tout du long. A bout d’idées, Rubin suggère enfin à Cash de reprendre en croupe deux de ses anciennes juments, Country boy et Mean eyed cat, pour un galop certes enlevé mais quand même très académique. Or, ce sont les deux choix les plus osés de cette sélection inégale qui nous paient de notre dévouement. Sur Rusty cage de Soundgarden, il lâche enfin la bonde d’une fureur jusque-là retenue. Et l’on en vient presque à regretter un disque de heavy-metal. La voix enfle, la poitrine du vieux soldat semble se remplir du tonnerre de toutes les guerres où il traîna ses guêtres. A cet instant, la voix de Johnny Cash, même accompagnée par les orgues de Staline, rien ne pourrait la rendre moins intimidante. Sauf lorsqu’il se met si parfaitement au diapason du recueillement blème de Spiritual, signé du jeune Josh Haden, comme si, avec la mort solitaire dont parle la chanson, il avait enfin trouvé un interlocuteur digne de lui.
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