On ne compte plus les affaires qui éclaboussent les politiciens, ni les règlements de comptes entre caïds. Alors que les quartiers s’enfoncent toujours plus dans la misère et la violence, les politiques ont-ils d’autres projets que celui d’être élus ?
Cela sonne à la fois comme un espoir et un voeu pieux. Le 12 janvier, Marseille sera officiellement intronisée capitale européenne de la culture, en présence de François Hollande. Objectif de la ville : six à huit millions de touristes dans l’année, contre quatre actuellement, avec la manne qui les accompagne. Des millions d’euros en perspective, bien nécessaires à la deuxième ville de France, qui comptait en 2009 26 % d’habitants sous le seuil de pauvreté. “On espère que cela servira de tremplin au développement de l’attractivité de la ville, comme ce fut le cas en 1998 avec la Coupe du monde”, prient les communicants du sénateur-maire UMP, Jean-Claude Gaudin. À l’époque, les avenues du Prado avaient été joliment ripolinées et le stade Vélodrome rénové. L’afflux de supporters combiné à l’arrivée du TGV avaient rendu sympathique et presque tendance “la Chicago provençale”. L’Hexagone se laissait charmer, Marseille se trouvait à nouveau charmante. L’idylle a vécu.
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Quinze ans après, les mêmes maux
Quinze ans plus tard, l’antre de l’OM est à nouveau en travaux, son Vieux-Port en chantier et la sulfureuse réputation de la ville abreuvée semaine après semaine. Comme si Marseille et l’État avaient oublié de soigner ses maux. Marseille dispute à la Corse le record de morts liées à des règlements de comptes (au moins vingt-quatre en 2012), sur fond de trafic de stupéfiants dans ses cités du pauvre Nord ou du riche Sud. Sa police semble gangrenée par la corruption, souillée par le scandale de la BAC Nord, dont une équipe a été dissoute par Manuel Valls après qu’un vaste système de racket des dealers a été mis au jour. Depuis 2008, les enquêtes sur les malversations politico-financières s’amoncellent. Le conseil régional, tenu par la gauche, a eu droit à son enquête pour détournement de subventions publiques, l’office HLM de la ville pour favoritisme dans l’attribution de marchés publics, l’Assistance publique-Hôpitaux de Marseille, présidée par Jean-Claude Gaudin, aussi. Et bien sûr, l’antique Phocée vit depuis près de trois ans au rythme de “l’affaire Guérini”.
Guérini, un nom comme un mauvais souvenir
Le patronyme était célèbre dans la ville bien avant que Jean-Noël ne devienne sénateur, président du conseil général des Bouches-du-Rhône et grand manitou de la fédération socialiste. Même avant qu’avec son frère Alexandre, entrepreneur dans le secteur des déchets, il ne soit mis en examen dans une affaire concernant l’attribution de marchés publics, pour trafic d’influence et association de malfaiteurs – en résumé, pour avoir créé et nourri un système clientéliste. Leur nom rappelle Antoine et Mémé Guérini, mythiques parrains de l’après-guerre originaires, comme “Nono”, du village corse de Calenzana. Jean-Noël et son frère Alexandre démentent toute filiation. “Au village, tout le monde s’appelle Guérini”, martèle le baron socialiste. Mais l’homme, dans l’ombre de la vie politique marseillaise depuis sa mise en examen en septembre 2011, n’en partage pas moins une vision assez répandue de l’avenir de Marseille : “L’horizon est noir.” “Ce n’est pas en mettant un policier tous les cent mètres qu’on résoudra les problèmes de la ville, souffle l’ancien candidat malheureux à la Mairie. Personne ne s’attaque aux vraies difficultés.”
“La gauche nous a trahis”
Des difficultés énumérées en des termes presque identiques par l’un des spin doctors de Gaudin : “La pauvreté ronge la ville depuis des années. L’État, les élus politiques locaux, droite comprise, ont abandonné le terrain en essayant d’acheter la paix sociale, en versant de l’argent aux associations et en fermant les yeux sur les petits trafics illégaux. Sur ce terreau se sont développés à la fois le clientélisme et la débrouille, qui nous pètent à la gueule.” Avec ses pendants les plus violents, à commencer par le trafic de drogue et les règlements de comptes pour mettre la main sur l’argent qu’il génère. Dans les cités les plus “rentables”, comme la Castellane, la Busserine ou Font-Vert, le business souterrain a supplanté l’économie réelle. Dans ces quartiers, le chômage atteint 50 % de la population active. “Franchement, qu’est-ce qui est le plus honorable ?, assume R., militant socialiste désenchanté des quartiers Nord. Vivre du deal ou accepter de créer une association bidon pour faire de la retape pour les élus, accepter un emploi fictif dans une administration pour service rendus ? Parce que c’est ça, l’alternative. J’ai grandi dans un bidonville à Saint- Joseph, j’ai la trentaine et l’avenir est toujours bouché. La gauche nous a tout promis, elle nous a pris pour du bétail électoral et nous a trahis. Et maintenant ils ne nous proposent rien.”
Déjà sous Defferre
Déjà à l’époque du maire historique de la ville, le socialiste Gaston Defferre, de taquins citoyens avaient inscrit “mairie annexe” sur la prison des Baumettes après que des scandales politicofinanciers avaient envoyé nombres d’élus derrière les barreaux. En 1996, le romancier Jean-Claude Izzo décrivait la circulation d’armes lourdes dans les cités marseillaises, l’impression de tiers-monde qui s’en dégageait. L’écrivain montrait aussi les bons côtés, la convivialité, la chaleur. Et ses revers : la violence qui peut éclater à tout moment. Aujourd’hui, parmi les politiciens locaux, certains se perdent en diatribes populistes, à l’instar de la sénatricemaire des XVe et XVIe arrondissements. Samia Ghali en a appelé à l’armée pour pacifier les cités. Résidente du Roucas Blanc, l’un des quartiers les plus cossus de la ville, l’élue socialiste a perdu en crédibilité ce qu’elle a gagné en exposition médiatique, faisant le tour des télévisions nationales. Ce n’est pas à l’année 2013 et à Marseille capitale européenne de la culture que les élus pensent. En 2014 se succéderont élections municipales et sénatoriales.
Le fantasme Tapie
En panne d’un grand projet que tout Marseille espère, les candidats déclarés et présumés comptent plutôt leurs troupes, dispersées par les vagues médiatico-judiciaires. L’impression qu’aucun nom ne se dégage parmi les aspirants a même fait ressurgir dans les sphères parisiennes le vieux fantasme d’un retour de Bernard Tapie dans le jeu politique local. L’homme d’affaires a démenti – tout en rachetant La Provence, le quotidien régional. “Le retour de Tapie, franchement, ça me fait rire, grince un ancien du journal passé à la communication politique (et officieuse) de Jean-Claude Gaudin. D’abord, avec La Provence, Tapie va faire ce qu’il a toujours fait : une bascule économique, en vendant les titres à la découpe. Croire qu’il aurait dirigé le journal, c’est méconnaître le bonhomme. Quant à la politique, penser une seconde qu’il se présenterait, c’est méconnaître la ville et l’histoire.” Et les faits. Bernard Tapie ne s’est jamais présenté aux municipales à Marseille. Même au faîte de sa gloire à la tête de l’OM, Nanard a été élu député à Gardanne en 1993, en lisière de la cité, pas en son coeur. Et son retour est annoncé au moins deux fois par an, en politique ou à l’OM…
2014, des ambitions sans projet
À droite, une seule question prévaut, que le maire Jean-Claude Gaudin gère avec gourmandise. Ira ou ira pas pour un quatrième mandat ? “C’est une question d’envie et d’énergie, glousse un de ses proches, mais il est vrai que la pression est forte pour qu’il y retourne, entouré d’une équipe rajeunie.” Pour l’heure, son seul rival à droite se nomme Guy Teissier, le maire des IXe et Xe arrondissements. Le député UMP, passé du Parti des forces nouvelles (une scission du FN en 1974) à la droite classique en 1978, a conservé une image très droitière. Son bras droit, Lionel Royer-Perreaut, a commencé sa carrière comme attaché parlementaire de Yann Piat. Il traîne dans les coulisses municipales le méchant surnom de Goebbels.
Roman noir pour cité radieuse
Sur la gauche, l’ambiance est plutôt à la Nuit des longs couteaux. Chacun des prétendants cherche à se démarquer du “système Guérini”. Marie-Arlette Carlotti, la ministre déléguée aux Handicapés, a été sa porte-parole de campagne en 2008, sa fidèle vice-présidente au conseil général jusqu’en 2011. Eugène Caselli, président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole, ne souffre lui pas seulement d’un déficit de notoriété. Il a été placé à la direction de l’institution après avoir été installé à la tête de la fédération socialiste par Jean-Noël Guérini et longtemps salarié du conseil général… “Que ceux-là parlent maintenant d’un système Guérini, dénoncent le clientélisme, il faut le vivre”, ronchonne Guérini, qui a encore beaucoup d’influence à la fédération des Bouches-du- Rhône ou depuis le conseil général et ses 2,5 milliards de budget. Lui promet qu’il ne se mêlera des municipales et d’une éventuelle primaire socialiste que “si ce qui s’y passe ne (lui) plaît pas”. Une promesse autant qu’une menace. Quand d’autres plus sérieuses minent le climat politique. Depuis le début du mois de décembre, le néo-député PS Patrick Mennucci, directeur de campagne de Guérini en 2008, est escorté par le service de protection des hautes personnalités. “Ça fait quand même bizarre, quand on vous demande votre groupe sanguin et celui de vos enfants”, confie-t-il. Une information judiciaire a été ouverte après qu’un des hommes ayant produit une attestation devant le Conseil constitutionnel afin d’invalider son élection – recours rejeté mi-décembre – a ouvertement promis “un destin à la Yann Piat” (députée UDF assassinée en 1994) à l’homme politique, qui “aurait déjà charclé s’il n’était pas député”, selon des enregistrements que Les Inrocks ont pu écouter. Une page de plus au roman de Marseille. Un peu trop noir pour une cité si lumineuse.
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