Inquiétant et poisseux, l’album de hip-hop le plus capiteux du moment.“Je suis du New York Times.” Au journaliste qui se présentait à lui de la sorte, Jimi Hendrix eut le bon goût de répondre avec un sourire las : “Enchanté. Je suis de Mars.” Mau, le rappeur d’Earthling, s’annonce comme celui qui “en 1686 a […]
Inquiétant et poisseux, l’album de hip-hop le plus capiteux du moment.
« Je suis du New York Times. » Au journaliste qui se présentait à lui de la sorte, Jimi Hendrix eut le bon goût de répondre avec un sourire las : « Enchanté. Je suis de Mars. » Mau, le rappeur d’Earthling, s’annonce comme celui qui « en 1686 a dit que l’homme noir est originaire de Venus » (First transmission). Est-ce de se sentir par trop mal aimés sur cette Terre que les fils de Sham s’inventent une provenance extraterrestre et commettent des oeuvres au goût venu d’ailleurs ? Le premier album de ce duo anglais vient nourrir ce phantasme, comme il offre au nom qu’il s’est choisi (Earthling signifie terrien) le brouillage du paradoxe. Parce que l’un des deux protagonistes est natif de Bristol, on s’est hâté de voir en Earthling la dernière branche de l’hydre trip-hop. « Oui, nous sommes plus proches de Tricky et de Portishead que de Guns N’Roses », ironise le compositeur T. Sau. I still love Albert Einstein révèle des caractéristiques jumelles de celles qui firent de Dummy, l’album de Portishead, un ovni tombé d’un trou noir non cartographié : arythmie comateuse, claustrophobie galactique, chant crépusculaire. Le son de Bristol apparaît dès lors comme issu d’un manuel de bricolage, produit composite et original d’une casse musicale où s’assortissent moteurs de fusées et roues d’attelages romains, moins fusion qu’atypique construction bruitiste.
Au-delà du procédé, Earthling s’affirme comme le pôle rap de la sphère bristolienne. Un rap sans tradition qui substitue à l’habituelle continuité narrative un saupoudrage de mots et d’expressions apportant à chacun des titres son urgence désorientée et l’éclairant de la cruelle splendeur du doute. « I’m a young Parisien or maybe I’m mistaken. Maybe I’m Cuban or maybe I’m Jamaican kickin like a kung fu Shakespeare » (First transmission). Il faut remonter aux Disposable Heroes pour trouver trace d’une avancée aussi significative dans un domaine souvent plombé par l’avalanche de prophéties apocalyptiques et de péroraisons égomaniaques. A la différence notable que les Disposable Heroes condamnaient la télévision tandis qu’Earthling en fait sa principale source d’inspiration. »We tend to be more polaroïd than paranoïd », suggère Mau dans l’inclassable Soup or no soup. Nefisa affirme mieux encore une technique où les images (« The queen is takin prosac ») viennent crépiter aux carreaux de la conscience, giboulée cathodique sous laquelle Mau espère sinon une purification, du moins un moyen de se désaliéner. Seule entorse au non-sens et au désordre synchronisé, Planet of the apes, meilleur titre de l’album, porte le dernier accent grave d’une série de vignettes travaillées par la peur. Chuck D, parlant de Public Enemy, affirmait qu’il s’agissait du CNN noir. Earthling ouvre, quant à lui, la première autoroute de l’information de l’ère rap. Destination improbable. Sensations garanties.
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