Le retour de notre sorcière bien-aimée.
Dans le film de Denis Villeneuve, Premier contact, une linguiste réquisitionnée par le gouvernement parvient, à force de patience, à communiquer avec des créatures extraterrestres – des heptapodes – au langage graphique élaboré mais aux intentions troubles. Un peu d’imagination pourrait nous faire envisager ce septième album de Juana Molina comme une possible séquelle de cette fable sémiologique pleine de poésie. Comme si la chanteuse et actrice argentine avait pris le relais de la linguiste, pour faire des aliens ses nouveaux partenaires musicaux.
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D’où ces sons venus d’ailleurs donnant une nette couleur ovni aux chansons les plus expérimentales et chamaniques d’un lot qui par ailleurs ne déroge jamais au format pop. D’où ces oscillations, ces réverbérations, ces jeux de fréquences, ces nébuleuses sonores, ces feulements et ces beats dignes d’un bestiaire de science-fiction qui parcourent les captivants Paraguaya, Sin dones, Lentísimo halo… D’où cette pochette, où un fémur humain incrusté d’une paire d’yeux se met à ressembler à un ptérodactyle venu de l’outer space.
Incantations et prémonitions
Reste que cet étincelant petit bijou de bizarrerie taillé à l’aide d’une gamme de machines souvent anciennes (Mellotron, Moog Prodigy, Lexicon…), au renfort desquelles viennent des outils plus conventionnels (guitares, basse, batterie), ne verse dans l’étrangeté que pour mieux nous ramener à l’humain, voire à l’enfantin. En cela, la démarche de Juana Molina réussit une improbable combinaison reliant Syd Barrett à Björk et Alan Vega (on ne peut s’empêcher de penser à Suicide sur Cara de espejo), avec une touche borgésienne en plus.
Vous ne comprenez pas l’espagnol ? Aucune importance : ici, le son compte plus que le sens et le féerique l’emporte toujours sur le véridique. Du reste, sur l’infernal A00 B01, elle se débarrasse des mots pour ne garder que des onomatopées qu’elle scande à la manière d’une incantation magique qui, d’ailleurs, finit par nous envoûter pour de vrai. S’il y a de la sorcière chez Juana Molina, elle est animée de bienveillance (cf le magnifique Cálculos y oráculos). Et s’il y a de la pythie, c’est pour relever l’insuffisance du mode de communication entre humains et, de là, prophétiser notre inévitable, et même souhaitable, mutation.
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