Couvée par Costello, épaulée par Roger McGuinn et chaperonnée par Squeeze, Aimee Mann n’avait jusqu’alors jamais mérité leurs élogieux états de service. Mais sur son nouveau et plantureux album I’m with stupid, elle cesse de confondre richesse et abondance, se montrant enfin digne de ses tuteurs légaux. C’est un témoin digne de confiance nul […]
Couvée par Costello, épaulée par Roger McGuinn et chaperonnée par Squeeze, Aimee Mann n’avait jusqu’alors jamais mérité leurs élogieux états de service. Mais sur son nouveau et plantureux album I’m with stupid, elle cesse de confondre richesse et abondance, se montrant enfin digne de ses tuteurs légaux.
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C’est un témoin digne de confiance nul autre que le sémillant et fort averti Elvis Costello qui nous avait prévenus : il voyait en Aimee Mann l’un des songwriters les plus doués de sa génération. C’était il y a quelques années, Aimee Mann était alors la chanteuse de Til’Tuesday, un de ces groupes sans chair et sans nerf celui-ci venait de Boston, mais il aurait très bien pu être allemand et concourir à l’Eurovision dont les eighties furent grandes consommatrices. Personne, à l’époque, ne fit donc grand cas des conseils du professeur Elvis, que l’on soupçonnait même d’avoir cédé à une coquette histoire de jupon qui lui aurait embué les lunettes. Il n’empêche : Costello, qui la reconnut et l’aborda au hasard d’une rue londonienne, offrit à sa bien Aimee un titre, (The Other end of the) Telescope, qui figure sur le troisième et dernier album de Til’Tuesday. On peut parier qu’il lui conseilla par la même occasion de mettre au rancart ses besogneux acolytes et de tailler la route sous son propre nom, ce qu’elle fit d’ailleurs sans regret. « C’était incroyable qu’Elvis puisse s’intéresser à moi. Il traîne une réputation de type très dur et sans pitié avec les autres artistes et le fait qu’il ait parlé de moi en ces termes m’a d’abord troublée, avant de me redonner confiance en mon travail. Cela dit, il m’arrive encore aujourd’hui de penser qu’il a simplement dit ça en plaisantant. »
Avec Til’Tuesday, Aimee Mann aura goûté en l’espace de six ans à tous les artifices, testé toutes les combines que les spécialistes en marketing mettent en œuvre pour fabriquer des poules pondeuses de hits. « A l’époque, je composais déjà des chansons avec une simple guitare acoustique, mais on me faisait comprendre que ce genre de choses ne marcherait jamais, qu’il fallait poursuivre dans cette voie pop funky avec laquelle nous avions décroché nos premiers tubes aux Etats-Unis. On se souvient de Til’Tuesday comme un de ces groupes chez qui l’image et l’attitude comptent plus que la musique. J’ai beaucoup souffert de ça et c’est l’une des raisons pour lesquelles le groupe a fini par se désintégrer. Je ne pouvais plus supporter que l’on soit rangés dans la même catégorie que Duran Duran. Tout ça m’affectait, car rien n’était calculé chez nous. Nous agissions avec beaucoup de sincérité et d’enthousiasme, sans nous prendre au sérieux. La popularité nous est tombée dessus par hasard et a faussé notre façon de voir les choses. Tout est devenu subitement plus facile, et donc forcément plus superficiel. »
Exit donc, en 89, le plat d’endives cuites qui lui tenait lieu de groupe.
Aimee Mann s’enferme avec le multi-instrumentiste, compositeur et producteur Jon Brion son Costello personnel et dévoué et donne naissance, quatre ans plus tard, à Whatever, un premier album trop grassement achalandé pour être tout à fait honnête. Le fait d’avoir été si longtemps confinée dans un terrain vague et lisse la pousse naturellement à entreprendre une grimpette à pic, dont elle ne réussira pas toujours à braver les vertiges. Whatever dégouline de toute part de cette intention de bien faire. Aimee, trop heureuse de mettre enfin ses désirs « Je serais à la fois les Byrds, Neil Young et Chrissie Hynde » au diapason de sa musique, se retrouve coincée entre la batterie-marteau de Jim Keltner et le mixage-enclume de Bob Clearmountain. On rêve alors de l’entendre respirer, elle qui avoue ne s’être jamais remise d’un Sgt Pepper chapardé à l’âge de 8 ans dans la discothèque du grand frère, ni du punk découvert à l’université, mais qui persiste à confondre richesse et abondance, raffinement et confort. Certaines chansons de Whatever Mr Harris et Way back when notamment donnent néanmoins à penser que Costello ne nous avait pas refilé un tuyau percé, et le magazine Rolling Stone renchérit en voyant en elle « un de nos tout premiers songwriters ». Aujourd’hui, avec I’m with stupid, Aimee Mann a donc juste pris la peine de soigner un peu plus l’emballage, aidée en cela par l’émergence soudaine d’une génération spontanée d’artistes américains Beck et Liz Phair sont ceux qu’elle cite comme modèles totalement affranchis des vieilles pesanteurs des studios et de la flemme syndicale des ingénieurs du son. « J’ai conçu cet album avec beaucoup plus de simplicité que le premier. J’ai pris soin de ne pas rajouter sans cesse des choses inutiles, de faire en sorte qu’il soit le plus direct et naturel possible. L’utilisation systématique d’une panoplie d’instruments et de technologie a souvent desservi mon travail et fait passer les compositions au second plan. Cette fois, je savais que les chansons étaient bonnes et que les textes voulaient dire quelque chose même si la plupart des gens qui les écoutent peuvent les trouver assez obscurs. La seule chose qui m’importait était que tout cela ait un sens et une vérité pour moi. »
Il suffit à Aimee Mann d’aborder en roue libre la première ligne droite du refrain de Choice in the matter pour renvoyer illico toutes les Juliana Hatfield, Sherryl Crow ou Alanis Morissette dans le décor. Aucune fille n’aura jusqu’ici combiné avec autant d’adresse une écriture pop parfaitement classique et un son aussi étincelant, dont chaque élément affiche sereinement un caractère et une ruse que certains de ses confrères mâles à commencer par Michael Penn, qui prête ses gribouillis de guitares psychédéliques sur un titre seraient bien inspirés de prendre pour modèle. Côté chansons, une nouvelle fois coécrites avec Jon Brion, certaines d’entre elles figurent au rang des perles les plus bouleversantes du moment, à commencer par l’impressionnant Amateur. Au niveau casting, ce second album d’Aimee Mann n’a en outre rien à envier au premier sur lequel figurait quand même Roger McGuinn et ses arpèges en cristal. Difford et Tilbrook de Squeeze y laissent traîner leurs cotonneuses vocalises et Bernard Butler ses six cordes les mieux choisies. « J’ai sans cesse envie de collaborer avec tous les gens dont j’admire le travail. C’est vrai que j’ai plutôt de la chance, en général, qu’ils acceptent de venir jouer sur mes albums. Parfois, il m’arrive de saisir une opportunité : je savais par exemple que Bernard Butler venait de quitter Suede et qu’il était prêt à collaborer à n’importe quel disque du moment que ça l’éloignait de Suede. J’ai donc sauté sur l’occasion. Peut-être aurait-il refusé l’invitation quelques semaines plus tard. Avec quelqu’un comme Roger McGuinn sur le premier album, les choses se sont passées tout aussi simplement. Jon et moi écoutions beaucoup de groupes sixties et les Byrds figuraient parmi nos favoris. J’ai toujours adoré leurs arpèges de guitare et lorsque Jon a essayé d’en imiter le son, il m’est venu cette idée saugrenue de demander carrément à McGuinn, que j’avais déjà rencontré grâce à Costello, de venir jouer sur le disque, en pensant qu’il aurait sûrement mieux à faire et qu’il refuserait. Et puis il a accepté et semblait même heureux de le faire. »
Pas frimeuse malgré son fantastique tableau de chasse, Aimee n’a rien à voir avec ces courtisanes et autres mantes religieuses du rock ses lisses cheveux platine et ses fréquentations costelliennes sont ses seuls points communs avec la désormais anonyme Wendy James dont les œuvrettes ne valent guère plus que le prix d’une passe. « Parce qu’il y a de plus en plus de filles dans le rock, les médias américains ont jugé qu’il était plus pratique de les regrouper toutes sous une seule et même bannière, à savoir le rock féminin. C’est pourquoi je m’attends avec ce disque à être rangée aux côtés de Garbage, Alanis Morissette, Liz Phair, sans que l’on tente de faire une distinction entre nous toutes. Je suis persuadée pourtant de ne pas appartenir à cette famille, parce que mes influences musicales sont plus anciennes et plus variées et parce que je n’ai pas l’impression de suivre le mouvement, la dernière mode de ces filles qui déballent leur vie sexuelle à longueur de couplets. » Ses lunettes cerclées et sages témoignant d’une trentaine largement révolue, elle n’aspire à rien sinon à se donner du temps, à faire en sorte que ses disques soient le plus fidèle reflet de sa vie rangée et sans secousse. « Je lis sans arrêt, c’est d’ailleurs ce qui occupe la majorité de mon temps. L’essentiel de ce que je peux écrire provient donc de cet imaginaire de la littérature qui m’accompagne sans arrêt. C’est ce qui me différencie le plus d’Alanis Morissette, que je n’aime pas trop, ou de Liz Phair, dont je suis néanmoins une grande fan : elles appartiennent toutes deux à cette génération MTV qui m’est totalement étrangère. »
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