La voix royale. La réédition de deux albums rappelle par inadvertance qui est le roi des crooners. La légende veut que ce soit dans un club minable, à la demande tapageuse d’un ivrogne lui promettant un pourboire royal (3 dollars), que Nat King Cole chantât pour la première fois (Sweet Lorraine), faisant rimer connement “baby […]
La voix royale. La réédition de deux albums rappelle par inadvertance qui est le roi des crooners.
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La légende veut que ce soit dans un club minable, à la demande tapageuse d’un ivrogne lui promettant un pourboire royal (3 dollars), que Nat King Cole chantât pour la première fois (Sweet Lorraine), faisant rimer connement « baby boy » avec « choo choo boy ». Mais qu’importe la petite histoire quand on évoque ce King-là, qui devança l’autre, Presley, d’une bonne décennie sur le terrain fort glissant du cross-over, ce principe très peu stable de la musique moderne que chevauchèrent avec des fortunes variées Sammy Davis Junior, Stevie Wonder ou Michael Jackson. Sa carrière est avant tout celle d’un musicien noir s’immisçant à force de séduction et de réserve inébranlable dans la culture populaire des Blancs, introduisant des éléments de jazz dans l’eau de rose de la rengaine sentimentale. Le prodige Nat King Cole réside dans ce suave malentendu : envoûter un vaste public qui, tout en se délectant de sa voix de miel, ignorait ou feignait d’ignorer qu’il écoutait du jazz. De fait, Cole inspira forcément aux puristes un chapelet d’anathèmes et de mises au bûcher épistolaires. On a beaucoup glosé sur le charme particulier de sa voix. On l’a comparée tour à tour à la fumée d’une cigarette, au velours, à la soie. On l’a dite perlée, brûlante. On a dit qu’elle luisait comme ses yeux. A son sujet, le journaliste-reporter de guerre Michael Herr écrivait dans Las Vegas, The Big room : « Murmure amoureux, parfaitement articulé, satiné, bruit de la pluie sur une vitre quand vous êtes heureux et de la pluie sur LA vitre quand vous vous sentez triste », nuance faite sans doute pour insister sur ce rapport d’intimité si saillant sur la plupart des enregistrements mélo du King, ce sentiment d’être celui, celle, à qui l’on s’adresse. Et Billy Eckstine d’ajouter : « Cole a pris un style et en a fait une voix », comme pour mieux souligner l’extrême fragilité d’un art sans racines sur lequel sera bâti par la suite l’empire en sucre des crooners. Cette voix qui vous glisse dans l’oreille comme une langue humectée par le désir, une confidence entre les draps, trouvera son metteur en scène en la personne de l’arrangeur Nelson Riddle, producteur essentiel de la musique américaine de l’après-guerre, dont Sinatra sera l’autre grand bénéficiaire. To whom it may concern (1958) et Wild is love (1960) sont les deux dernières productions signées Riddle. L’enregistrement de la seconde nécessita la contribution de quarante musiciens et d’un chœur d’opéra pour un résultat parfois écrasant. To whom it may concern, en revanche, laisse respirer des compositions signées Johnny Burke, Sammy Cahn ou Charlotte Hawkins, belle-sœur de Cole. Des airs en apparence sans qualité mais qui, grâce à lui, sont devenus inoubliables.
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