L’ancien chanteur de Carte de Séjour, Rachid Taha, se lance à l’assaut des rythmes et des continents avec une agilité d’autant plus surprenante qu’il finit toujours par retomber sur ses pieds. Avec Olé, olé, son troisième album en solitaire produit par l’inconditionnel Steve Hillage, il nous fait danser, réfléchir et voyager. L’idée lui est venue […]
L’ancien chanteur de Carte de Séjour, Rachid Taha, se lance à l’assaut des rythmes et des continents avec une agilité d’autant plus surprenante qu’il finit toujours par retomber sur ses pieds. Avec Olé, olé, son troisième album en solitaire produit par l’inconditionnel Steve Hillage, il nous fait danser, réfléchir et voyager.
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L’idée lui est venue au souvenir de Pain et Chocolat , comédie italienne où Nino Manfredi se teignait en blond afin de mieux se fondre dans le paysage xénophobe d’une tranquille cité helvétique. On peut y voir accessoirement une coquetterie capillaire en vogue ces temps-ci, adoptée par Tricky ou le facétieux rebondeur des Chicago Bulls, Dennis Rodman.
Mais venant de Rachid Taha, dont personne n’a pu oublier la version problématique de Douce France avec Carte de Séjour, cette décoloration a forcément valeur de message. Comme pour la chanson de Trenet, l’ironie a été préférée à la colère. Ce qui ne retranche rien à la charge de désespoir que révèle un tel geste, renvoyant dans un improbable chasse-croisé symbolique à la négation qu’impose Michael Jackson à ses propres traits et à la tragique épopée de Khaleb Kelkal. « Quelqu’un qui aurait pu être moi »,selon l’ancien résident des cités de la banlieue lyonnaise. « Pour dire ce qu’est la justice, il faut par fois montrer l’injustice. Adolescent, j’avais des amis qui faisaient tout pour s’intégrer. Ils se teignaient les cheveux et Mohamed se faisait appeler François. Là, j y ajoute la provocation, un soupçon de punk attitude. Je fais un pied de nez à la chasse au faciès que l’aventure de Kelkal a justifiée aux yeux de beaucoup et rendue pour ainsi dire officielle. »Et Rachid d’évoquer avec cette espièglerie qui ne cesse de luire dans ses yeux, même quand Jean-Baptiste Mondino lui fait porter une paire de lentilles bleues sur la pochette du nouvel album Olé, olé, l’embarras des policiers chargés de contrôler les identités, ne sachant quelles dispositions prendre, intervenir ou pas, au passage de cet étrange hybride maghrébin à tignasse blond aryen (« Il est pédé ou quoi ? »).
Depuis Carte de Séjour, et les premières tentatives d’associer musique traditionnelle arabe et sonorités modernes, Rachid a parcouru un chemin important. Où le travail sur lui-même, sur cette identité, fruit conflictuel d’une double appartenance, poussé sur le terrain linguistique et communautaire, l’a amené à éviter les pièges de l’immobilisme. De l’époque de la philosophie qui triomphe sur ce nouvel enregistrement. Un esprit que l’on pourrait qualifier de nomadisme musical. Qui agit sur le temps, puisque interviennent sur les mêmes compositions programmations et instruments classiques tels que bindir et luth arabe. Qui agit sur l’espace, car ce disque nous fait, à la manière d’Aladin sur son tapis volant, traverser les déserts et enjamber les océans.
« L’image fondatrice de cet album, c’est la babouche qui part de l’Asie, passe par l’Afrique et arrive en Amérique où elle devient santiag. « Le temps de sourire à cette allégorie cordonnière et voilà l’histoire qui arrive en renfort. Un ami musicien de Rachid raconte comment à Austin, Texas, en conversant avec l’ingénieur du son du studio où il enregistrait, lui fut révélée la merveilleuse histoire de la santiag. Mieux, pour appuyer sa thèse, l’ingénieur l’emmena dans une boutique de bottes mexicaines où une galerie du magasin avait été aménagée en musée. Des gravures d’époque y démontraient comment la babouche, d’origine chinoise, fut amenée en Andalousie par les Arabes et débarqua au Mexique avec les premiers galions espagnols au XVe siècle. Elle se transforma alors au fil des époques et des usages. On lui ajouta des guêtres pour finir par lui intégrer une tige haute, mieux appropriée à la monture des chevaux.
« Musicalement» ma démarche est exactement l’inverse, expliquait récemment Rachid au micro de la radio Onde Latine-Marseille. Quand j’écoutais la musique de Bo Diddley, je ne pouvais m’empêcher dépenser aux rythmes gnaouis (tribu marocaine constituée d’anciens esclaves originaires de la côte guinéenne d’où partirent en masse et simultanément les négriers qui allaient décharger leur cargaison humaine dans les plantations du sud des Etats-Unis, convoyant en toute clandestinité les semences du blues dont Bo Diddley reste sans doute l’interprète le plus primitif). Je m inspire de Bo Diddley mais en le ramenant à son origine nord-africaine) par exemple en jouant les parties de guitare au bindir. Et tout l’album est conçu sur ce principe. Non non non, dont tout le monde prétend qu’il s’agit d’un morceau techno, a pour base une musique traditionnelle que l’on joue lors des cérémonies de mariage dans une certaine région de l’Algérie. En fait, j’avais le souvenir d’une tante qui, dès quelle se mettait à danser, entrait en transe. Il ne fallait surtout pas l’arrêter parce qu’elle risquait alors de tomber en syncope. Pour l’accompagner au bout de sa transe, les musiciens accéléraient progressivement le rythme. Et le tempo allait par fois au-delà de ce qui est généralement admis dans la techno. »
Ainsi, chacune des douze pièces musicales présentes sur Olé, olé s’apparente aux applications variées d’une même loi algébrique. Seuls les données, les sentiments et les résultats différent. Jungle fiction repose ainsi sur une trame de surf-music qui elle-même renvoie à une certaine forme de musique orientale. « J’ai eu l’idée de ce morceau en allant voir Pulp fiction. J’avais le souvenir d’avoir écouté quelque chose de très ressemblant sur un disque qui s’appelait Les Grands classiques de la musique arabe. C’était le son que je souhaitais obtenir. J’ai eu un flash le jour où, dans une interview accordée au Melody Maker, le type (Dick Dale) qui joue cet instrumental surf sur la bande-son de Pulp fiction révélait ses origines libanaises. J’y ai adapté une rythmique jungle qui doit autant à la Jamaïque qu’à l’Afrique. Quant aux cuivres, ils donnent cette touche mariachi, un style que j’apprécie, mais ils me rappellent aussi les années 70 où l’on jouait le raï avec de la trompette. » Musique indienne, chaabi (style originaire d’Alger avec des textes teintés d’ironie), rythme gnaoua, yourouba, jungle, techno, coloration mariachi, Rachid Taha fonctionne comme une centrifugeuse qui explose les structures moléculaires de chacun des matériaux qu’il approche, pour en extraire un cocktail d’une grande vitalité spirituelle. Caries lignes sinueuses de cette singulière odyssée musicale (« Je me considère avant tout de la Méditerranée ») ne semblent jamais être tracées en fonction d’un goût indulgent pour l’exotisme, ni inspirées par la recherche brouillonne d’un cuménisme mou, mais plutôt avec la volonté de se mettre au diapason du chaos et de la saturation du monde. Ce choix artistique de l’inconfort par l’errance n’aura sans doute été possible que dans la mesure où Rachid lui-même vit dans le regard des autres une remise en cause quotidienne, évolue en permanence sur les lèvres d’une plaie qui ne cesse de saigner.
Une position dont il a su tirer tous les avantages avec une grande souplesse d’esprit et qui a fini par imprégner l’ensemble de son travail. « Pour les textes, je me mets dans la difficulté. J’utilise les mots d’abord pour leur valeur musicale et ensuite j’essaye de donner un sens à l’ensemble. La langue arabe se prête à cela. « Ainsi Boire est-il construit avec l’usage exclusif de ces mots arabes (hasard, bazar, etc.) qui ont fini par enrichir le vocabulaire de la langue française. Toujours avec une infinie subtilité, Rachid sait comment se rendre indispensable. La pudeur et le courage font le reste.
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