Le Festival de Toronto vient de nous offrir deux coups de coeur : une fable fantastique signée Guillermo Del Toro avec « The Shape of Water » (Lion d’Or à Venise) et le portrait du ringard Tommy Wiseau par un James Franco inspiré dans « The Disaster Artist ».
C’est un combo désormais connu : première triomphale a Venise, emballement critique à Toronto, puis course victorieuse à l’Oscar jusqu’en février. Gravity, Birdman, Spotlight, ou La La Land ont ces dernières années suivi ce modèle à la lettre. Tandis que s’ouvrent les paris pour 2018, on sait déjà pour notre part où placer nos billes : sur The Shape of Water de Guillermo Del Toro. Revenu de la lagune avec un Lion d’Or, il vient d’émerveiller Toronto.
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Après un début de festival morne, à enchaîner les téléfilms au casting prestigieux qui composent bien la moitié de la sélection (par exemple le pépère Current Wars, sur l’invention de l’électricité, avec Benedict Cumberbacht et Michael Shannon, ou bien Mark Felt, biopic de l’informateur bien connu du Watergate connu sous le nom de Deepthroat, avec un Liam Neeson pile à mi-chemin entre Taken et Schindler), il suffisait hier de tendre l’oreille dans n’importe quelle file d’attente du festival (particulièrement longues et retorses cette année) pour entendre le nom du cinéaste mexicain suivi de « wow », de « OMG » ou de « ohlalala ». Même ceux qui goûtaient jusqu’à présent peu ses films (dont nous sommes), ont reçu celui-ci en plein coeur.
The Shape of Water favori pour les Oscars
Ca tombe bien, c’est précisément ce qu’il visait. The Shape of Water se présente comme une suite officieuse de La Créature du Lac Noir de Jack Arnold (un film de 1954, un des premiers en 3D), où le fameux monstre amphibie serait capturé en Amazonie, ramené à Baltimore pour y être étudié (et torturé par Michael Shannon, a son meilleur) dans un labo de l’armée américaine, avant d’être sauvé par une femme de ménage, qui se trouve être muette et émue par son sort — et plus si affinités.
Le film débute sur un tempo étrange, d’abord nourri d’un imaginaire de vieux garçon à la Jeunet qui laisse craindre le pire. Cependant, quelques détails indiquent que c’est une fausse piste (telle une masturbation féminine au bout de 2 minutes), et Del Toro emballe la machine au bout de trois quarts d’heure, pour se lancer dans une romance échevelée et un plaidoyer, certes attendu mais puissant, pour la différence, qu’elle soit sexuelle, raciale, ou tout simplement physique. D’une délicatesse en même temps que d’un culot infinis, The Shape of Water est le grand spectacle hollywoodien tel qu’on n’ose plus le rêver, qui émerveille à chaque instant, ne concède rien au cynisme et décoche flèche après flèche contre l’Amérique réac’ des fifties qui tente de revenir par la fenêtre. Et s’il vous reste un petit billet à parier, mettez le sur l’incroyable comédienne anglaise Sally Hawkins : il faudra se lever tôt pour lui ravir l’Oscar de la meilleure actrice en février.
James Franco/Tommy Wiseau, un duo évident
L’amour des monstres anime aussi le deuxième grand film vu à mi-parcours de ce festival. Mais c’est un autre type de monstre auquel James Franco rend hommage dans The Disaster Artist. Celui-ci existe pour de vrai, et il s’appelle Tommy Wiseau. On ne sait d’où il vient ni comment il a fait fortune ; on ne connait pas son âge ni ses traits authentiques après que le bistouri les a manifestement changés ; tout ce qu’on sait de lui, c’est qu’il a réalisé (et produit) le soit-disant pire film de l’histoire du cinéma, intitulé The Room. Sorti en 2003 dans une salle (1800$ de recettes pour 6 millions de budget), The Room est le parangon contemporain du nanar. La réussite, totale, de l’hommage que lui rend Franco — et qui n’a franchement rien à envier à celui de Burton vis-à-vis d’Ed Wood — tient en la capacité de l’acteur-réalisateur à embrasser corps et âme son sujet.
Car au fond, Wiseau c’est Franco, mais dans un monde parallèle, dans un monde où les choses auraient tourné un peu différemment pour lui. Son génie est toujours sur la corde, jamais plus évident que lorsqu’il compose des personnage idiots. Ici, le mimétisme est total, la performance la plus riche que l’acteur ait jamais offerte. Et qu’il nous fasse rire (énormément) des infortunes de son artiste du désastre n’est en aucun cas une marque de cynisme. Tout le contraire : c’est la preuve qu’il agit bel et bien « au nom de l’amour absolu » (pour citer Patrick Sébastien, le Tommy Wiseau français). Espérons que Warner, qui en possède les droits, le sorte dignement en France.
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