De Jaurès à Mélenchon, l’affiche politique a toujours été un média majeur de propagande et d’influence sur les foules. Dans « Vive les soviets », un ouvrage fouillé, fondé sur des collections privées exceptionnelles, l’historien Romain Ducoulombier revient sur l’histoire du Parti communiste français à travers un siècle d’affiches politiques.
Quelle était la mission assignée aux affiches politiques ?
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L’affiche politique est une arme parmi d’autres dans l’arsenal de l’agit-prop du Parti. Elle n’est d’ailleurs pas considérée comme l’arme absolue : jusque dans les années 1960, la brochure de propagande est encore jugée comme prioritaire. Sa mission, c’est d’abord de « conquérir les masses », et pas seulement ouvrières. Mais je crois qu’on peut distinguer grossièrement des affiches identitaires, qui balisent les territoires et les imaginaires, des affiches de combat plus circonstancielles.
Est-on capable de déterminer l’influence qu’a pu avoir ce « média politique » sur les masses ?
Difficile question. Le premier obstacle, c’est de trouver des chiffres de tirage. Dans les années 1930, ils sont faibles, et plutôt en faveur d’affiches qui visent des sections de l’opinion publique, comme les retraités. Et puis il y a des affiches fortes, et d’autres manquées. Pour moi, une belle affiche livre son sens de façon intuitive : elle est meilleure qu’un long discours quand elle imprime sa marque dans l’inconscient. Je ne crois pas aux théories pavloviennes des années 1930 pour expliquer la force de la propagande : son influence est plus subtile, mais proprement immesurable en termes quantitatifs.
Pouvez-vous dégager les grandes tendances qui se dégagent dans l’histoire graphique du Parti communiste français ?
J’en distingue volontiers trois, et c’est pourquoi le livre est organisé chronologiquement. Les années 1920 sont déterminantes. Elles sont dominées par le style flamboyant de Jules Grandjouan, qui réalise une synthèse entre le syndicalisme révolutionnaire d’avant-guerre et les symboles bolcheviques qu’il contribue, comme je le montre, à diffuser de façon décisive. L’âge d’or, c’est la Guerre froide, selon des codes renouvelés par le graphisme de la publicité française et de la propagande fasciste et soviétique de l’entre-deux-guerres. La télévision, qui se répand surtout à la fin des années 1960, l’influence du marketing publicitaire vont par la suite transformer l’affiche et en imposer la simplification. Je crois que le groupe Grapus s’inscrivait d’ailleurs dans une résistance à cette évolution irréversible.
À quelle période l’affiche communiste a-t-elle connu son apogée ?
Le Parti communiste fut un redoutable producteur d’images qui a incontestablement connu son apogée pendant la Guerre froide. À cette époque, le Parti bénéficie du concours d’artistes de premier plan, comme Picasso ou Fougeron, et du génie orchestrateur d’Aragon. Les thèmes sont porteurs et la polarisation de l’opinion publique, extrême. Elle est à peine entamée par la crise de Budapest en 1956. C’est le moment où l’art de l’affiche est sans doute le plus fluide et le plus abouti.
Durant l’après-guerre, le Parti communiste s’est servi de ses affiches pour développer une violente germanophobie. Comment l’expliquez-vous ?
Par la mémoire toute fraîche de trois invasions… Les communistes y voyaient aussi une stratégie attrape-tout qui prolongeait leur volonté d’apparaître comme un parti national. Mais cette germanophobie, à son paroxysme au milieu des années 1950, permettait aussi d’agiter le thème central de la paix et de se conformer aux impératifs de la diplomatie soviétique en Europe, hostile à la création d’une Communauté européenne de défense (CED) qui devait effectivement ne jamais voir le jour. À plusieurs reprises dans l’histoire de l’affiche communiste, l’agenda international des Soviétiques a joué un rôle.
L’une des affiches du Parti communiste les plus frappantes est sans doute celle où l’on voit De Gaulle bâillonner la République avec le slogan « À bas le fascisme ». Quelle en est l’histoire ?
C’est une belle affiche du peintre André Fougeron, à l’époque où il est au premier plan de la politique graphique communiste. L’exposition qui lui avait été commandée par la Fédération des mineurs en 1950 en avait fait, en l’absence de Thorez malade et soigné en URSS, le peintre quasi-officiel du Parti, ce qui lui coûtera cher. La lutte des places existe aussi chez les communistes ! Le « réalisme socialiste » qu’il prône se prête en tout cas parfaitement à l’art de l’affiche, la diagonale-mouvement est impeccable et facilite la lecture. À l’époque, les communistes sont isolés sur la scène française et tout ce qui n’est pas eux, est contre eux. Le RPF, pourtant, n’était pas « apparenté » aux partis de gouvernement d’alors, il s’opposait même farouchement à la IVe République, alors que l’affiche le transforme en avant-garde de la « réaction » assimilée au « fascisme ». Cette assimilation sera la ligne de bataille du PCF en 1958, et elle sera inopérante face au « oui » massif à la nouvelle Constitution.
Dans l’histoire de la propagande communiste, on recense assez peu d’affiches misant sur l’humour ou le second degré.
Oui c’est vrai, mais n’oublions pas que les députés ne commencent à sourire sur leurs photographies officielles qu’au cours des années 1960 ! La rupture, c’est l’affiche souvent citée de Lecanuet en 1965. Mais les raisons de cette absence sont plus complexes. Les communistes considéraient leur lutte comme profondément sérieuse. L’ascétisme révolutionnaire est une dimension essentielle de leur imaginaire partisan et on ne rigolait pas avec le Parti, qui était « au service de la classe ouvrière », ce qui n’était pas rien. L’affiche, par ailleurs, s’est lentement dégagée, en tant que discipline artistique, de la dictature du dessin de presse et de la caricature. C’était, en quelque sorte, deux choses différentes. L’affiche gauchiste de 1968 apportera de la fraîcheur, qui mettra du temps à renouveler le graphisme communiste dans la décennie suivante.
Dans le dernier chapitre de votre livre consacré à la France « Black, blanc, beur », vous revenez sur le rapport de défiance qu’ont entretenu les élus communistes avec les populations immigrées venant s’installer en France. Comment l’expliquez-vous ?
Ce que certains appellent aujourd’hui le « différentialisme » était étranger à la culture communiste. On était communiste avant tout. Le PCF se voulait un parti national, quitte à ce qu’une forme d’ethno-protectionnisme séduise une frange étroite d’élus locaux menacés dans leurs fiefs par le renouvellement de populations issues de l’immigration. Une note des RG rédigée en mars 1969, que je cite dans le livre, montre que cette angoisse était ancienne, mais elle culmine au début des années 1980. L’empire municipal communiste, c’est la ligne de vie du Parti : tout était bon pour le défendre. La conception « classiste » de l’histoire était cependant un obstacle infranchissable à cette tentation. Et elle s’est (quasiment) éteinte avec le recul du PCF et la banalisation de son offre politique. Aujourd’hui, il est plus facile de comprendre ce que le Parti n’est plus, que ce qu’il est.
À l’ère d’Internet, l’affiche dispose-t-elle toujours d’un impact politique?
Pourquoi n’en aurait-elle plus ? Même si elle est diluée dans un déferlement d’images, je crois qu’elle peut encore tirer son épingle du jeu. Nos souvenirs restent après tout attachés à quelques photographies et on achète aussi un livre à cause de sa couverture. En tout cas, notre « liberté de non-réception » (le fait de pouvoir se détourner d’une image qui tente de s’imposer à nous) était sans doute plus grande au temps de l’affiche murale, qu’à celui de l’omniprésence des écrans aujourd’hui.
Recueilli par David Doucet
Romain Ducoulombier, Vive les soviets, Les échappés, septembre 2012, Paris.
NB : En novembre 2012, sortira Mort au Bolchos, signé par l’historien Nicolas Lebourg. Un ouvrage qui s’intéressera cette fois-ci aux affiches anticommunistes.
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