Douce transe. “Une seule règle : pas de règle.” DJ’s parfaitement affranchis, les Chemical Brothers réussissent l’exploit de séduire la pop indé comme les clubs londoniens les plus exigeants, travaillant sans sourciller avec les Charlatans comme avec Prodigy. Alors que leur album Exit planet dust viendra jouer les vilains canards dans les palmarès de fin […]
Douce transe. « Une seule règle : pas de règle. » DJ’s parfaitement affranchis, les Chemical Brothers réussissent l’exploit de séduire la pop indé comme les clubs londoniens les plus exigeants, travaillant sans sourciller avec les Charlatans comme avec Prodigy. Alors que leur album Exit planet dust viendra jouer les vilains canards dans les palmarès de fin d’année et que ces faux frères seront l’une des sensations des Transmusicales ce week-end, rencontre londonienne avec deux doués discrets.
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Anecdote forcément révélatrice : il y a environ six mois, les Dust Brothers Ed Simons et Tom Rowlands durent changer leur nom en Chemical Brothers suite aux plaintes du duo de producteurs américains de hip-hop du même nom. On croit en une énervante, mais courante, coïncidence. Loin de là. « Quand nous avons commencé à jouer dans des soirées, on a cherché un bon nom pour notre duo. Nous étions fans de l’album Paul’s boutique des Beastie Boys, produit par les Dust Brothers. Le nom nous plaisait, on l’a pris, sans penser une seconde que ça poserait problème plus tard. C’était juste une idée de fans. Ça nous a énervés de devoir changer. » Sincérité pop confinant presque à une certaine naïveté, je-m’en-foutisme déclaré, esprit résolument potache et punkitude presque adolescente. Il est acquis depuis longtemps même en France, où les clichés ont pourtant la vie dure qu’être « rock » est plus une affaire d’esprit et d’attitude que de musique. Comme on parle souvent stupidement de livres rock, de films rock, de présentateurs télé rock, nous sommes fiers de vous présenter un vrai groupe de dance-music rock.
Attention néanmoins à ne pas tomber dans l’énorme panneau désormais installé devant nos yeux : les Chemical Brothers ont beau être un groupe rock, ils ne sont certainement pas un groupe de rock. « Notre musique s’articule totalement autour du dance-floor qui est, et restera toujours, sa raison d’être. On peut écouter nos disques chez soi, mais ce ne sont pas des disques pour se reposer ou pour réfléchir. Nous nous sentons très très loin d’un label comme Mo’Wax ou d’une frange avant-gardiste de la techno. »
C’est cette énergie presque trop furieuse qui stupéfie immanquablement à l’écoute d’un disque des Chemical Brothers : beats hip-hop abrasifs et survoltés, sonorités acides et distordues, samples de guitare, sirènes hurlantes. Beaucoup de bruit donc, mais du bruit pour danser. Si le résultat peut séduire jusqu’au public de Rage Against The Machine, la démarche des Chemical Brothers est résolument issue d’un certain esprit house-music britannique. Ironie du sort et beauté de la chose. « Nous avons commencé à faire de la musique uniquement parce que nous avions du mal à trouver des disques correspondant à ce que nous voulions jouer. Nous nous sommes rencontrés à l’université, avons formé un duo de DJ’s et seulement ensuite, nous avons fait de la musique. Notre premier maxi, Song to the siren, a coûté un peu plus de 2 000 f. C’était presque une lubie de DJ, juste histoire de voir la réaction des gens sur le dance-floor quand nous allions le passer. Le maxi, sorti en catimini en juillet 1992, a finalement été remarqué par Andy Weatherall et signé par le label Junior Boy’s Own. » Junior Boy’s Own se trouve être le meilleur représentant de la culture house britannique, un label issu du fanzine Boy’s Own qui mêlait à la fin des années 80 des articles sur le football et l’acid-house, ecstasy et tests de bières. Les piliers du fanzine et du label (Andy Weatherall, Terry Farley, Pete Heller) seront les premiers à remixer des groupes indies pour le dance-floor : Primal Scream, Happy Mondays, The Farm. Une culture dont les Chemical Brothers sont largement tributaires : mauvais garçons à l’esprit formidablement ouvert, faux idiots à l’impressionnante culture musicale, chiens fous heureusement sans laisse. On oublie trop souvent que l’Angleterre déteste les barrières musicales trop vites érigées, comme celles séparant ici de force les fans d’indie-pop pourtant parfaitement capables de danser le samedi soir de clubbers n’ayant pas forcément oublié le joli goût métallique du larsen. Et au milieu, les Chemical Brothers.
Deux maxis suivront ce premier essai transformé, Fourteenth century sky et My mercury mouth. Inédits en France, ils demeurent pourtant les deux meilleurs disques du groupe. La notoriété augmente et les demandes de remixes affluent. Les faux frères chimiques font leur choix selon des critères « de sensibilité et d’affinité, tant avec le groupe qu’avec le morceau à remixer. Nous ne remixerions pas des gens que nous n’aimons pas ou un morceau qui ne nous parle pas. Il suffit parfois d’un tout petit truc, un son, une voix avec laquelle on va jouer, que l’on va triturer dans tous les sens ». Ainsi passent à la moulinette les Sandals, Saint Etienne, Manic Street Preachers, Charlatans (dont le chanteur Tim Burgess chante sur Life is sweet, un des titres de l’album), The Prodigy, Bomb The Bass ou les Suédois explosifs de Whale. Même si tout semble séparer ces groupes, le choix apparaît pourtant implicitement cohérent à l’arrivée.
Après cette série gagnante de maxis, le passage à l’album se révélera une étape difficile pour le duo : Exit planet dust sort finalement en juin dernier, sur le label Freestyle Dust, structure indépendante créée par et pour les Chemical Brothers au sein de Virgin. « Nous avons toujours de bonnes relations avec Junior Boy’s Own. Nous leur devons beaucoup. Mais gérer la sortie d’un album demande beaucoup de moyens. Nous ne sommes pas élitistes et être underground ou pas nous importe peu. Nous faisons de la musique et voulons seulement en faire profiter le plus de monde possible, d’où le contrat avec une major. » Pas franchement authentifié comme un chef-d’œuvre, Exit planet dust peut se révéler, dans le bon contexte, comme un indépêtrable et passionnant compagnon de bord. « C’est un excellent album à écouter dans sa voiture avant de sortir ou en revenant de club un peu raide », confirme Ed.
Plus encore que leurs disques, la meilleure preuve de l’ouverture d’esprit des Chemical Brothers reste leurs prestations en tant que DJ’s, en particulier leur résidence dominicale londonienne du Heavenly Social. « Nous sommes toujours beaucoup sortis, mais nous n’avons jamais vraiment fait partie de l’intelligentsia house londonienne. On préfère sortir avec nos amis, prendre et donner du bon temps dans des endroits pas trop grands. C’est de cette envie qu’est né Heavenly Social, avec une seule règle : pas de règle. On nous a souvent reproché de ne pas savoir mixer, mais nous n’avons jamais prétendu être de grands DJ’s. Nous passons de bons disques, des morceaux à part entière, ceci sans aucune barrière de genre. Nous n’avons pas de style à proprement parler, et c’est cela notre style. » A l’intérieur du club (deux cents personnes attendent dehors, pas mal pour des DJ’s « moyens »), tout tient effectivement du télescopage. Télescopage musical : productions maison, hip-hop new-yorkais, acid-house, vieux standards funk, extraits du Yellow submarine des Beatles, bruits divers, Cigarettes and alcohol d’Oasis… Et surtout télescopage physique : sueur, bière, nitrate d’amyle et pogo sous l’étrange lumière d’un panneau lumineux rouge clamant « Socialism! ».
Le duo s’amuse autant que ses convives, dans un débordement impressionnant d’énergie. Rares sont les groupes « dance » maîtrisant aussi bien cette puissance émanant du dance-floor. Même dissimulés derrière leur machinerie, les Chemical Brothers ne crachent pas pour autant sur une certaine visibilité « pop ». Visuellement, ils forment d’ailleurs un joli couple, habitant douce ironie dans l’ancien appartement d’un des garçons-coiffeurs de Bros. « Certains magazines ont un peu déformé nos propos, nous n’avons pas vraiment affirmé que nous voulions devenir des pop-stars, les voix d’une génération post-acid-house. Nous n’avons pas essayé avec notre album de donner ses lettres de noblesse à la dance-music. Nous n’essayons pas de faire reconnaître quoi que ce soit. Cela dit, la visibilité ne nous gêne pas. Nous ne sommes pas des puristes de la techno restant enfermés vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans leur studio. Nous aimons sortir, jouer live, que ce soit dans un club ou en première partie d’Oasis devant treize mille personnes à Manchester. » Comptons sur eux pour bousculer les conventions, désormais coulées dans du béton armé de la scène rave française, lors de leur « concert » des Transmusicales de Rennes.
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