De Pour une poignée de dollars à Il était une fois en Amérique, le plus célèbre et prolifique des compositeurs de cinéma est enfin salué par une compilation à sa mesure: Ennio Morricone, trente ans de carrière et plus de quatre cents bandes originales derrière lui. Le titre de cette nouvelle anthologie consacrée à Ennio […]
De Pour une poignée de dollars à Il était une fois en Amérique, le plus célèbre et prolifique des compositeurs de cinéma est enfin salué par une compilation à sa mesure: Ennio Morricone, trente ans de carrière et plus de quatre cents bandes originales derrière lui.
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Le titre de cette nouvelle anthologie consacrée à Ennio Morricone – Une Poignée de musiques de film ? est déjà , en soi, un aveu d’impuissance. Les compilateurs, pour une fois, étaient manifestement armés des intentions les plus louables – livret soigné, chronologie respectée, pochette nettement plus digne que lors des tentatives précédentes – et disposaient devant eux d’une durée confortable. Même s’ils espèrent y adjoindre prochainement un second volume aussi fourni que celui-ci (quarante-cinq extraits), on restera, sur le sujet, toujours loin du compte. Cela relève plus des basses mesquineries du Guinness Book que des hautes cimes de l’art, mais quand même : personne n’est en mesure aujourd’hui d’évaluer le nombre exact de bandes originales de films composées par Ennio Morricone. Il Maestro lui-même avouait, en 1987, n’avoir qu’une vague idée sur la question -« plus de deux cents mais moins de trois cents »? tandis que le magazine américain Première avançait deux ans plus tard le chiffre de trois cent quarante-neuf. Et depuis ? Probablement une cinquantaine, dit-on ici et là, ce qui entérinerait cette idée couramment admise : Morricone serait l’auteur d’environ quatre cents scores. Habitué, et depuis longtemps insensible, aux vertiges de la comptabilité – il a composé, durant la seule année 72 quelque vingt-deux BO -, Morricone reste aussi froid et placide devant ces hallucinantes performances que les manieurs de gâchettes des films qui ont fait sa gloire. Il évoque à l’occasion Mozart qui, dit-il, fut quasiment aussi prolixe bien qu’il mourût très jeune.
Derrière l’apparente modestie du propos, on aura noté que Morricone ne se mesure pas au premier venu. On ledit d’ailleurs suffisant, voire exécrable, et ceux parmi ses admirateurs les plus fervents qui ont tenté d’obtenir ses faveurs – les Pet Shop Boys et New Order notamment – ont vu leurs demandes rejoindre le vide-ordures avec, pour seul
accompagnement, le plus cinglant des mépris. Morricone n’a que faire du rock, lui qui domine depuis plus de trente ans un genre musical qui englobe tous les autres.
A peine regrette-t-il de n’avoir pas épouse une carrière de compositeur classique et de chef d’orchestre à laquelle ses aptitudes le destinaient ? le prestigieux conservatoire Santa Cecilia de Rome l’a honoré de quatre premiers prix : composition, orchestration, trompette et direction -, son compte en banque se chargeant d’atténuer toute amertume. Ennio Morricone est né en 1928, soit l’année de The Lights of New York, le premier film entièrement parlant de l’histoire du septième art. L’ironie veut donc que le plus célèbre compositeur de musiques de film ait vu le jour au moment précis où la musique au cinéma voyait sa prédominance s’effondrer au profit des dialogues. Toute sa vie sera ainsi vouée à réajuster cet équilibre perdu, à faire de l’art d’écriture pour grand écran un acteur aussi important que les comédiens de chair et de sang. Force est de constater, face à l’impressionnante liste de nanards pour lesquels il a œuvré, que la performance de cet acteur-là écrasa bien souvent toutes les autres. Quant à cette autre liste, tout aussi remarquable, des chefs-d’œuvre dont il a composé la musique, nul ne peut contester que leur immortalité doit beaucoup à Morricone.
L’un des secrets de son extrême prolixité réside en partie dans sa ponctualité. Morricone rend toujours sa copie à l’heure, souvent en avance, et travaille aussitôt sur la suivante. La genèse Il était une fois dans l’Ouest, sa plus célèbre partition et l’exemple type de cette parfaite équité entre la mise en scène et la musique, est encore plus spectaculaire : à la fin des années 60, porté par le triomphe de ses premiers westerns spaghetti – la série des Dollars -, Sergio Leone débarque aux Etats-Unis avec l’intention de tourner un film de gangsters intitulé Once upon a time, America. Gentiment pressé par ses producteurs de continuer dans la veine western, il ne se laisse convaincre qu’au bout d’une interminable et âpre série de discussions. Enrôlé dans l’aventure, Morricone met à profit cette attente forcée pour composer et enregistrer intégralement la bande originale d’un film dont il ignore le sujet. Ainsi, lorsque Leone débutera son tournage, toute la mise en scène sera articulée à partir de la musique. Scorsese a parfaitement résumé plus tard la collaboration Leone-Morricone en qualifiant Il était une fois dans l’Ouest non pas de western mais d’ « opéra moderne ». La tradition musicale italienne, ce lourd héritage auquel Morricone a été confronté dès l’âge de 6 ans lorsqu’il commence à composer, n’est pourtant pas la source motrice de son travail. Son père trompettiste – qui participa lui-même à des BO – lui transmettra très jeune le virus du jazz mais, là encore, on ne tient qu’un vague ingrédient des recettes inventées au gré des commandes. Avec Bruno Nicolai – son chef d’orchestre attitré, rencontré sur les bancs du conservatoire -, il va développer un style d’orchestration qui échappe farouchement à tous les codes. En plus des grands principes du western score édictés par ses maîtres les plus fameux (Dimitri Tiomkin…), la musique de Morricone est dès l’origine extrêmement perméable. Son second collaborateur le plus précieux dans les années 60, Alessandro Alessandroni, est quant à lui un autodidacte complet, issu du rock et plus précisément d’un groupe vocal, The Four Caravels. C’est lui qui pousse Morricone à utiliser des instruments électriques, des guitares surf notamment mêlées à une sorte de chorale canaille (baptisée Cantori Moderni), l’ensemble formant l’une des plus fameuses marques de fabrique du Morricone des débuts, celui de Pour une poignée de dollars notamment. En 67-68, dans la tourmente psychédélique, Morricone ira encore plus loin dans les mariages contre nature en faisant cohabiter guitares fuzz, clavecins baroques, cloches et chants liturgiques – Dies ire psichedelico sur la BO d’Escalation. A l’occasion, il s’amuse à parodier Bacharach – Le Carnaval des truands – ou John Barry, ses cousins d’Amérique. Il compose dans le même temps un nombre conséquent de BO de films d’épouvanté de série Z où il expérimente à loisir les premiers synthétiseurs, tandis que son œuvre officielle, visible-le fou furieux a, paraît-il, composé en plus sous divers pseudonymes – revêt déjà cette carapace flamboyante qui lui fera traverser les âges. C’est l’époque, notamment, du thème immortel d’Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon et du banco commercial de la BO de Sacco et Vanzetti, chantée par Joan Baez.
Dix ans après ses débuts sur les écrans – II Fédérale, en 1961 -, Morricone ne montre aucun signe d’essoufflement à l’aube des seventies. Au contraire, il compose à cette époque quelques-unes de ses pièces maîtresses, notamment Il était une fois la Révolution (I97I) et ses fameux borborygmes, les très poppy et sautillants On m appelle Providence (72) et On continue à m appeler Providence (73), ou Mon nom est Personne (74) et ses flûtiaux primesautiers. Omniprésent aussi dans la seconde moitié des années 70, son style connaît pourtant une érosion spectaculaire à partir de l’excellent La Femme du dimanche (75), lorsqu’il besogne pour des comédies lourdingues (La Cage aux folles 1&2) et des polars français (I comme Icare) indignes de son rang. Il touche le fond en 81 avec l’ignoble et grinçant Chi Mai, extrait d’une belmondoserie pathétique (Le Professionnel) et qui finira – la morale est sauve – dans la réclame de Royal Canin.
En réalité, Morricone n’a plus qu’une obsession : ajouter une ultime pierre à l’édifice jadis bâti avec Sergio Leone et laissé en friche depuis plus d’une décennie. En 82, débute le tournage d’Il était une fois en Amérique, quatorze ans après que Leone a dû une première fois faire avorter à contre-cœur son phénoménal projet. Le film sort deux ans plus tard et comporte probablement la plus majestueuse et grandiose des bandes originales d’Ennio Morricone. Le thème principal est simplement sublime, la voix de la soprano Edda Dell’Orso (Deborah’s theme) tire des larmes au monde entier et même la flûte de Pan de Gheorghe Zamfir contribue à rendre cette fresque inoubliable. Toujours aussi incontinent – le seul premier trimestre de 94 a vu paraître cinq BO signées Morricone -, II Maestro se repose depuis sur des recettes plus ou moins heureuses qui satisfont les fonctionnaires d’Hollywood (sa dernière œuvre remarquable fut Les Incorruptibles en 87), en attendant tranquillement, à 67 ans, de rejoindre sa place réservée dans la postérité.
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