Disque immense, What would the community think révèle Cat Power : une sauvageonne de 24 ans, à l’écriture grave et belle à pleurer. L’hiver dernier, confusion. Sous une innocente pochette (un vase dodu rempli de fleurs épanouies) sortait sur un microscopique label d’Hoboken (Smells Like Records) un disque parfaitement anonyme : Myra Lee de Cat […]
Disque immense, What would the community think révèle Cat Power : une sauvageonne de 24 ans, à l’écriture grave et belle à pleurer.
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L’hiver dernier, confusion. Sous une innocente pochette (un vase dodu rempli de fleurs épanouies) sortait sur un microscopique label d’Hoboken (Smells Like Records) un disque parfaitement anonyme : Myra Lee de Cat Power en fait Chan Marshall, âme d’un trio de folk furibond comptant en son sein un Sonic Youth, Steve Shelley. Trompeur, l’opulent bouquet : à fréquenter de trop près ces chansons épineuses on eut surtout l’impression de se frotter à du poison ivy, costaude plante sauvage américaine qui est à notre ortie ce que le pitbull est au caniche. Voix urticante, guitare chercheuse de noises : Myra Lee avait un vague air de Liz Phair (celle de South Dakota), si le petit prodige de Chicago avait poussé en pleine cambrousse, la tignasse hirsute, les genoux couronnés et une tribu de bouilleurs de cru à ses trousses. Un disque nourri aux mamelles du pittoresque et du pathétique, mal dégrossi, encombré de moignons de chansons (Fiancé, décapité au bout de trente secondes) mais furieusement intrigant, avec sa façon de se parfumer d’âcres senteurs champêtres sans pour autant promettre la moindre galipette au fond de la grange. Aujourd’hui, What would the community think fait définitivement valser les réputations au panthéon de la country gothique : soudain, les Geraldine Fibbers ont des billes de clowns, les Tarnation passent pour des comiques troupiers et les Cowboy Junkies gagnent leurs galons de bouffons. Pire, ils sentent la recette, avec leur façon de plaquer des histoires à faire dresser les cheveux sur la tête sur des mélodies pour veillées au coin du feu, d’être ostensiblement un peu trop malins pour les genres musicaux qu’ils s’approprient. Chez Cat Power, pas de hiatus ironique entre le fond, calciné, et la forme, brûlante. Rescapée de quelque épouvantable naufrage métaphysique, une fille seule, avec sa guitare et sa guigne, chante un blues terrible (They tell me) interdit aux divas manucurées (Cassandra Wilson) comme aux ribaudes émules de Janis Joplin (Joan Osborne). Un blues immaculé qui ferait presque passer la PJ Harvey de To bring you my love pour une Sarah Bernhardt égarée sur les berges du Mississippi (ou un Jim Morrison féminin). Un blues inouï, teinté de gospel blafard, plainte orpheline (God don’t give a shit about me) pleurée en écho au There is no one what will take care of you de Palace. De la country aussi, d’une luminosité stellaire (Taking people), celle après laquelle les Walkabouts, érudits bosseurs, courent en vain depuis dix ans. Une country pas phraseuse, sourde à la rhétorique de Nashville (pas de violons, tout juste une minuscule flaque d’orgue et une pincée de pedal-steel), déconseillée aux acheteurs de résidence secondaire mais pas affligée pour autant d’un esprit de clocher étriqué, d’un intégrisme amish. Au-delà de l’anecdote Steve Shelley enregistre à Memphis , Cat Power jumelle sans états d’âme Hank Williams I can’t help it (if I’m still in love with you), repris sur Myra Lee et Bill Callahan (l’admirable Batysphere de Smog, dépouillé de son violoncelle baroque et superbement violenté sur What would the community think). Deux immenses songwriters américains fiers d’adouber King rides by, une de ces chansons déraisonnables qui ouvrent le terme à l’infini, sans même atteindre les quatre minutes réglementaires. Ici, le pavé de Manhattan s’allonge jusqu’au cœur du Tennessee ; The Coat is always on invite les voix monocordes de Lou Reed et Sterling Morrison récitant The Murder mystery ; Nude as the news offre un bol d’air au Sonic Youth de Dirty. C’est au fil de concerts new-yorkais que la rumeur dit exceptionnels que Cat Power s’est forgé sa réputation, mais sur What would the community think la campagne prend sa revanche sur les orgueilleux gratte-ciel. Immense disque, où les plus beaux cauchemars de l’Amérique rurale (rêvée par Nick Cave, peinte sur pellicule dans La Nuit du chasseur ou L’Enfant miroir) convergent vers Water and air : « Mon amour est parti au fil de l’eau… Je devrais être au fond de la rivière ténébreuse, enlacée par le diable. » Une histoire aussi éternelle qu’effroyable, dont on jurerait ici qu’elle vient d’être inventée par une jeunette de 24 ans. De quoi effectivement donner quelques sueurs froides à la communauté on connaît depuis La Lettre écarlate le peu d’indulgence de la vertueuse Amérique pour les amours cornues.
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