Il y a soixante ans naissait Albert Ayler, artiste maudit, musicien incompris et saxophoniste incandescent. “Albert Ayler m’empêche de dormir”, déclara un jour John Coltrane. A sa mort, en 1967, selon ses dernières volontés, Albert Ayler et son frère Don jouèrent à son enterrement Truth is marching in. Le 25 novembre 1970, on retrouva le […]
Il y a soixante ans naissait Albert Ayler, artiste maudit, musicien incompris et saxophoniste incandescent.
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« Albert Ayler m’empêche de dormir », déclara un jour John Coltrane. A sa mort, en 1967, selon ses dernières volontés, Albert Ayler et son frère Don jouèrent à son enterrement Truth is marching in. Le 25 novembre 1970, on retrouva le corps d’Ayler dans l’East River. Accident ? Suicide ? Meurtre ? Mystère. Quelques mois auparavant, à Saint-Paul-de-Vence, il avait embrasé les nuits de la Fondation Maeght. Ceux qui ont assisté à ce concert n’en sont pas sortis indemnes, ceux qui ont écouté les enregistrements qui en sont issus non plus. Mais écoute-t-on encore Albert Ayler aujourd’hui ? Il demeure à ce jour le plus méconnu des saxophonistes de la galaxie free. Et pourtant, sa musique reste toujours d’une actualité brûlante. La réédition de My Name is Albert Ayler, son deuxième album, en est la preuve tangible et sonore. C’est au Danemark, qui accueillit plus d’un exilé (Bud Powell, Don Byas, Stan Getz), qu’il a été enregistré par la radio danoise, le 14 janvier 1963. Quelques mois plus tard, au Café Montmartre, il rencontra Don Cherry, Cecil Taylor et Sunny Murray avec qui il fera un bon bout de chemin. Il est ici accompagné par une rythmique locale, le pianiste Niels Bronsted, le contrebassiste Niels-Henning Orsted Pedersen et le batteur Ronnie Gardiner, des musiciens plus rompus à la tradition bop qu’aux fulgurances de la free-music. Au répertoire, des standards, le langage commun à tous les jazzmen, de bons vieux saucissons usés jusqu’à la corde, Bye bye black bird, Billie’s bounce, Summertime, On green Dolphin Street, joués et réjoués (ces mêmes thèmes que les jeunes néo-boppers s’amusent à interpréter très sérieusement en costume Armani). Ils sont ici déjoués, déconstruits, décortiqués. Albert Ayler en fait de la charpie. Car il a la passion dévorante et la musique chevillée au corps, mais aussi le sens de l’humour tragique et de la parodie grinçante, avec ricanements et raillements. C’est ce qu’on appelle un saxophoniste ténor hurleur. Sa musique puise au fin fond de la tradition afro-américaine (negro spirituals, gospels), son énergie, d’on ne sait où. C’est une musique de fête, de transe et de folie, débordante d’allégresse, de violence et d’amour, une musique à la vie à la mort. « Je joue pour la beauté qui surgira après tous les conflits et toutes les anxiétés. Cette musique parle des cris d’après-guerre ; je veux dire de cris d’amour que l’on peut déjà entendre chez les jeunes qui apparaîtront quand les hommes qui recherchent la paix atteindront la paix spirituelle. » Pour ce genre de propos, on l’a pris pour un illuminé, un abruti, au mieux, un allumé. Mais Albert Ayler reste subversif et provocateur, donc toujours aussi fréquentable. De quoi ne pas faire mentir Cioran qui, une fois de plus, visa juste en écrivant « A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ? »
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