Stripped à la mode de quand ? Ce faux live le prouve : c’est dans les vieilles marmites 65 à 72 qu’on ressoude le plus admirablement les Stones. Mick Jagger, tous les fans des Smiths le savent, est un usurpateur, un vieux corbeau travesti en éphémère, un monsieur Thiers grippe-sou accoutré en Gavroche. […]
Stripped à la mode de quand ? Ce faux live le prouve : c’est dans les vieilles marmites 65 à 72 qu’on ressoude le plus admirablement les Stones.
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Mick Jagger, tous les fans des Smiths le savent, est un usurpateur, un vieux corbeau travesti en éphémère, un monsieur Thiers grippe-sou accoutré en Gavroche. Mais le masque, salement fissuré, est enfin bon à jeter. D’où l’intro aux curieux airs de conclusion de Stripped : Street fighting man, antique canasson de combat pour finale de concert, est bazardé d’entrée. Ici, on solde le raffut rocailleux et la vénérable étiquette « le plus grand groupe de rock’n’roll du monde » gagnée de haute lutte en 1969, avec le faramineux Get yer ya-ya’s out. Jeunes magiciens ivres de leurs nouveaux pouvoirs, les Rolling Stones donnaient alors une éloquence inédite à leur idiome métallique, magnétique, matois et mateur. Depuis, cette langue vernaculaire fascinante, noire, américaine et sexuellement ambiguë, inventée par de petits machos blancs et anglais, s’est affadie au fil de fins de concerts si rabâcheuses que, dès les premières notes de Start me up (« Tu ferais jouir un mort », parfait refrain pour un gang de zombies), on pouvait déguerpir et s’épargner l’indignité d’un Brown sugar pâle et insipide. Mais Jagger, madré, est salutairement dépourvu de l’aveuglement suicidaire qui fait les belles rubriques nécrologiques. Stripped, faux live (pour le retour aux fiestas survoltées et ribaudes du Crawdaddy Club de Richmond, c’est encore raté) est un spectaculaire échantillon des pouvoirs conjugués d’une voix d’acrobate, de guitares acoustiques en liberté étroitement surveillée et d’un répertoire savamment glané dans trois albums mirifiques (Let it bleed, Sticky fingers et Exile on main street). Un fac-similé raffiné de parures d’une élégance trouble, d’une distinction torve. Dûment chapitrées, les grattes destroy se tiennent à carreau, Ronnie Wood maîtrise enfin les sortilèges de la slide (Love in vain), les backing vocals loqueteux de Keith Richards sont émouvants à souhait et Jagger, plus figure de proue que jamais, est estomaquant de brio, vraie diva libérée de ses obligations de jogger. Collerette plissée pour Wild horses, aussi élisabéthain que le Lady Jane d’antan ; robe de prêcheur gospel et chavirante descente dans les graves (Shine a light) ; frusques de hillbilly bidonnant (Sweet Virginia, Dead flowers) ; grand numéro de roué harmoniciste sur The Spider and the fly, blues urbain libertin et méchanceté troublante de naturel quand, prenant prétexte du Like a rolling stone de Dylan, il se gausse d’une grande bourgeoise tombée dans la débine : on peut seulement regretter le temps où Let it bleed, troublante chanson des muqueuses crémeuses, permettait aux junkies du Retour à Brooklyn de Selby d’ébaucher un rap frileux. Sur Stripped, la compassion est passée à la trappe, reste le savoir-faire inspiré, mis au service d’un passé les glorieuses années 65-72 qui se refuse obstinément à trépasser.
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