Sacre bleu. La trente-sixième merveille du rock anglais les Bluetones de l’inoffensif Mark Morriss sort aujourd’hui son premier album, Expecting to fly, objet de toutes les conversations londoniennes. Beaucoup de bruit pour rien ? Vous connaissez déjà cette histoire. Le nom d’un nouveau groupe circule. Anglais, le groupe. C’est un copain qui vous […]
Sacre bleu. La trente-sixième merveille du rock anglais les Bluetones de l’inoffensif Mark Morriss sort aujourd’hui son premier album, Expecting to fly, objet de toutes les conversations londoniennes. Beaucoup de bruit pour rien ?
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Vous connaissez déjà cette histoire. Le nom d’un nouveau groupe circule. Anglais, le groupe. C’est un copain qui vous en parle en premier, ou bien un disquaire bien informé, ou encore un journal. C’est quoi, déjà, le nom du groupe ? Ah oui, je connais… En fait, personne ne sait encore très bien ce que c’est, mais tout le monde sait que c’est très bien. On apprend alors qu’un 45t vient de paraître. Génial, le 45t. Forcément. Sauf qu’on ne l’a jamais entendu parce qu’il est impossible de mettre la main dessus. Pas plus à Chouzé-sur-Loire qu’à Paris, pas même à Londres ou Liverpool. Sorti par l’intermédiaire du fan-club du groupe eh oui, ils ont déjà un fan-club ! , l’objet n’a été tiré qu’à un petit millier d’exemplaires. Très bon pour le mythe, ça. On croit savoir que le groupe donne des concerts, qu’ils se jouent à guichets fermés. Deux cents personnes à Llanduno, trois cents à Hull, trois cent cinquante à Nottingham. Ce n’est pas une révolution, mais attendez un peu… Un deuxième 45t apparaît, cette fois tiré à cinq mille exemplaires, tous vendus en deux jours, ce qui permet au groupe de débouler dans les classements de vente de disques, la mine enfarinée. D’où articles de presse, nouvelle tournée, bouche à oreille massif. Six cents personnes à York, neuf cents à Plymouth, mille à Bristol. Là, en pleine ascension, les hebdomadaires britanniques spécialisés mettent le paquet : interviews, photos, couvertures, et des titres de « meilleur espoir du rock anglais » comme s’il en pleuvait. Quelques mois passent… Un troisième 45t le meilleur de la triplette, gardé bien au chaud pour être commercialisé au meilleur moment montre le bout de son nez, entrant directement à la deuxième place des classements de ventes de disques, loin devant Janet Jackson, loin devant Elton John, loin devant les « meilleurs espoirs du rock anglais » du mois précédent. Télévisions, journaux nationaux, radios, méga-tournée (la troisième en six mois), raz de marée. L’Angleterre du rock a encore réussi son imparable tour de passe-passe. Le nouveau groupe peut faire paraître son premier album, tout auréolé par une gloire grandissante. L’avenir lui appartient.
« Je sais, je sais. Tout cela a l’air si facile, trop facile, mais par pitié, n’allez surtout pas croire que les Bluetones sont un groupe monté de toutes pièces, le jouet de petits génies du marketing. Avec mes copains, nous n’avons jamais voulu tout ça. Nous n’avons rien calculé, nous nous sommes contentés de sortir des 45t lorsque ceux-ci étaient prêts. Regarde-moi bien : ai-je l’air d’un type follement ambitieux ? » Non, pas du tout. Les bras ballants, la mine défaite, Mark Morriss n’affiche pas le regard de tueur à gages des directeurs d’agence de pub, encore moins le cynisme de ceux qui ont pour profession d’organiser le lancement de prétendus albums-événements. Pas un habile filou, donc pas non plus le chanteur aux dents longues de Menswear. Juste un honnête garçon, simple nageur dépassé par la vague. « J’avais pourtant tout fait pour ne pas me laisser surprendre. Par exemple, j’avais insisté pour que nos premiers disques sortent en tirage limité, afin de nous laisser le temps de mûrir tranquillement, dans l’ombre, loin des médias. Ce choix a eu l’effet opposé : précisément parce que nos disques étaient difficiles à se procurer, tout le monde s’est mis à en parler… Mais moi, je n’ai jamais rêvé de gloire, d’argent, de grosses voitures, toutes ces choses qui font baver la majorité des musiciens. Je ne vis pas à Camden, comme Menswear, Morrissey ou certains musiciens de Blur, je ne fréquente pas les bars hantés par les rock-stars. Je vis dans un appartement modeste de Hounslow, à quelques dizaines de mètres de l’endroit où j’ai grandi. C’est un quartier populaire, un endroit où vous ne croiserez aucune célébrité. D’ailleurs, je n’aurais jamais pensé devenir chanteur. Il y a cinq ans, je me destinais à une carrière de footballeur professionnel. J’ai même passé les tests de recrutement de grands clubs pros, mais ça n’a pas marché. »
Il y a chez ce Mark Morriss une ingénuité, une naïveté qui font presque peine à voir, tant on sent ce garçon peu préparé au grand voyage. Pourtant, gare aux faux-semblants : un groupe peut-il vraiment se retrouver à la une des journaux sans l’avoir foncièrement souhaité ? Pour le savoir, interrogation en règle d’un indicateur infiltré au NME, l’hebdomadaire spécialisé qui a le plus contribué à la gloire naissante du groupe. « Ce qui s’est passé avec les Bluetones est très représentatif et rentre dans une logique commerciale implacable. Voilà un groupe sans grand génie, mais qui a eu la bonne idée d’apparaître au moment où Blur, Oasis et Pulp étaient déjà au plus haut de la vague, au moment précis où la presse avait besoin d’un nouveau groupe. Ici, au NME, personne n’a hésité. Il fallait leur filer un sérieux coup de pouce afin de mettre un peu de piment dans une actualité musicale morose. Il y a deux ans, le rédacteur en chef du journal a eu une idée fantastique en créant les Brat Awards cérémonie de récompenses singeant les trop sérieux Brit Awards , c’est-à-dire en fabriquant artificiellement une actualité rock en plein mois de janvier, lorsqu’il ne se passe rien d’autre. Cette année, les Bluetones étaient le groupe vedette d’une tournée organisée et sponsorisée par le NME à l’occasion des Brat Awards. Les concerts ont tous affiché complet et le numéro suivant du journal, avec les Bluetones en couverture, s’est vendu formidablement bien. En somme, on a créé une dynamique de toutes pièces, un mouvement dont les radios et les télés ont bien été obligées de se faire l’écho. Voilà comment les Bluetones en sont arrivés là aujourd’hui. » Nul besoin d’aller chercher confirmation dans la maison voisine l’autre hebdo musical, le triste Melody Maker , dont on sait déjà qu’elle a souvent tenté d’imposer ses propres groupes parmi lesquels Marion avec des techniques similaires… mais beaucoup moins de bonheur. Un peu agacé de s’entendre suggérer que le succès de ses Bluetones n’aurait d’autre fondement qu’un soutien médiatique hors du commun, Mark Morriss fronce enfin les sourcils, laissant paraître une virulence qu’on n’attendait plus.
« Je pourrais te citer trois ou quatre noms de groupes qui ont bénéficié des mêmes faveurs que nous mais qui n’avaient pas nos qualités au départ. Ce sont toujours les chansons qui emportent la décision et nous avons travaillé les nôtres pendant de longs mois. Même avec l’aide de tous les journalistes de la terre, un groupe sans chansons n’arrivera à rien. » Un peu agacé à notre tour, on s’empressera de lui citer en réponse deux ou trois noms de groupes autrement méritants les formidables Trash Can Sinatras en tête qui n’ont jamais profité des faveurs de la presse mais en auraient fait bon usage… Mais soyons beaux joueurs : puisque Mark Morriss nous invite sur le terrain des chansons, étudions de plus près l’album Expecting to fly, seul élément tangible porté au dossier Bluetones. De chansons, le disque en compte une grosse dizaine mais combien de vraies trouvailles, de confections maison ? Il y a celles qui refusent de décoller, loin de tenir les promesses d’un titre d’album chipé chez Neil Young. Ainsi la toute première, Talking to Clarry, cafardeuse traînée de poudre vaguement psychédélique qui s’étire sur cinq minutes d’un ennui profond rien de pire pour entamer un album. Il y a celles qui rappellent d’un peu trop près quelques groupes vite oubliés des années Manchester, celles que même The High ou Ocean Colour Scene auraient rechigné à livrer. Puis celles qui évoquent des parrains plus recommandables Charlatans ou Stone Roses premier cru mais ne tiennent pas plus de dix secondes au bras de fer. Pourtant, on devine ces Bluetones concentrés sur leurs devoirs, eux qui ont appris par cœur le manuel du parfait petit tribun pop, des Beatles à Buffalo Springfield, des Byrds aux Kinks. Mais où est la flamme ? Où sont les frémissements, les peines, les raisons d’exister ? Face à une telle vacuité de propos, même les transparents Charlatans font figure de jeunes gens en colère, même les Boo Radleys ont l’air de jouer leur chemise. De ce triste tableau, on ne retiendra guère que la production avantageuse de Hugh Jones, parfait dans le rôle du maçon, quelques beaux moments d’accalmie les ballades The Fountainhead, Putting out fires et A Parting gesture et surtout Slight return, le fameux troisième 45t qui a définitivement ouvert aux Bluetones la route du succès outre-Manche. Trésor relatif au cœur d’un album qui fait tout juste office d’écrin, Slight return sera l’unique occasion de s’enthousiasmer pour un groupe cloué au sol par son académisme ronflant. Pour finir sur une note plus généreuse, accordons au moins ceci au groupe de l’innocent Mark Morriss : les Bluetones ne font pas semblant, n’ont pas recours aux artifices en vogue maquillage, pantalons qui brillent, faux accent cockney. Se contentant d’être eux-mêmes des garçons d’une banlieue de Londres, sans bataille ni révolte, seulement animés par leur passion pour le rock et ses traditions , les Bluetones ne sont pas à la hauteur de leur glorieuse réputation. Pour un peu, leur histoire filerait le cafard, comme un conte de fées bancal, pas crédible : l’histoire de quatre types sans envergure pour qui d’autres auraient taillé des costumes trop amples, fringues de star qui font cruellement ressortir la maigreur de leur inspiration, leur absence de substance. Puisse le succès quelque peu usurpé qu’ils connaissent en Grande-Bretagne permettre aux Bluetones de préparer un deuxième album plus flatteur, plus vif, moins respectueux, moins tristement consensuel. Un disque où il ne sera plus seulement question d’un décollage… éventuel.
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