Le singe Cheeta qui raconte sa vie ; une enquête sur les traces d’un film de Tod Browning : les livres de James Lever et Augusto Cruz dévoilent le côté sale et sombre de l’âge d’or hollywoodien. Un genre en soi.
De Boulevard du crépuscule à Maps to the Stars, le cinéma aime mettre en scène l’envers du décor hollywoodien, ses vices et ses freaks. Démonter l’usine à rêves, la littérature aussi sait faire. Sexe, drogue et trash, la face sombre d’Hollywood a nourri de nombreux livres, à commencer par le modèle du genre, le sulfureux Hollywood Babylone de Kenneth Anger, collecte de ragots affriolants sur les mœurs dissolues des stars et peinture d’une Cité des anges plus décadente que Sodome et Gomorrhe.
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Les dessous peu ragoûtants des studios constituent une matière romanesque en or. La preuve avec Moi, Cheeta de l’Anglais James Lever, sélectionné en 2009 pour le Booker Prize. Autobiographie fictive et parodique du célèbre chimpanzé, partenaire de Johnny Weissmuller dans Tarzan, ce livre pourrait être l’hybridation gaguesque des Grands Singes de Will Self (les critiques ont un temps cru que James Lever, illustre inconnu, était un pseudonyme de Self) pour le côté simiesque et d’Hollywood Babylone pour les anecdotes salaces déversées par le singe savant avec un malin plaisir (intitulé “La Sale Pute !”, le chapitre 14 est même censuré !).
Retraité à Palm Springs, Cheeta revient sur sa carrière, son amitié avec Weissmuller, ses virées en Rolls avec David Niven, ses succès, ses fiascos et son premier rail de coke sniffé entre les seins de Constance Bennett. La citation attribuée à Marlene Dietrich donne le ton du roman : “Une star de cinéma n’est pas vraiment un être humain.” Par la voix faussement candide de Cheeta, James Lever pointe les similitudes entre la jungle où est né le chimpanzé et la faune hollywoodienne des années 30 à 50 avec ses mâles dominants – Fairbanks, Gable, Bogart – ses parades nuptiales et ses accouplements multiples dans un “attirant bouquet olfactif d’urine, de vomi, de mycoses, de sueur et de menstruations” qui rappellent au singe les orgies de ses cousins bonobos.
A la recherche du chef-d’œuvre maudit de Tod Browning,
Pas tout à fait humaines, ni tout à fait animales, les stars hollywoodiennes, exposées et exhibées, sont littéralement monstrueuses (du latin monstrare : montrer). Or le monstrueux se trouve au cœur de Londres après minuit du scénariste et écrivain mexicain Augusto Cruz. Inspiré de faits réels, ce roman haletant aux confins du policier et du fantastique raconte l’enquête menée par un ex-agent du FBI pour retrouver, à la demande d’un vieux collectionneur passionné de cinéma d’horreur, la copie du premier film de vampires réalisé par Tod Browning, chef-d’œuvre culte et maudit.
Outre les répliques de Frankenstein, Dracula et autres créatures, le détective croise sur sa route des actrices déchues du muet aux allures d’inquiétants zombies. Ce livre, comme celui de Lever, explore le côté obscur de l’âge d’or d’Hollywood, quand les turpitudes des acteurs et actrices demeuraient relativement dans l’ombre et pouvaient ainsi nourrir les fantasmes. Aujourd’hui, les freaks du septième art n’ont pas disparu mais leurs frasques se retrouvent aussitôt sur internet, laissant peu d’espace à l’imaginaire et à la fiction. Quoique, on ne serait pas contre un (bon) roman sur Lindsay Lohan.
Elisabeth Philippe
Moi, Cheeta de James Lever (Le Nouvel Attila), traduit de l’anglais par Cyril Gay et Théophile Sersiron, 352 pages, 22 €, en librairie le 19 mars
Londres après minuit d’Augusto Cruz (Bourgois), traduit de l’espagnol (Mexique)
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