En Corée du Nord, les citoyens sont divisés en cinq catégories par les règles du “Songbun”. Un système héréditaire de castes forgé par l’idéologie communiste des années 50 qui ne fera peut-être plus le poids face aux réformes de Kim Jong-un.
Le vent a bien tourné depuis que le dernier rejeton de la dynastie des Kim cherche timidement à ouvrir son pays à l’économie de marché. Les “mesures du 30 mai” promues l’an dernier par Kim Jong-un semblent porter leurs fruits : les récoltes grimpent doucement (en 2013, la Corée du Nord a produit presque assez de nourriture pour s’alimenter sans aide extérieure), des réformes industrielles se mettent en place… Le Leader suprême prendrait-il goût aux charmes du libéralisme ? Voilà qui pourrait adoucir – à défaut d’y mettre un terme – l’une des coutumes totalitaires les plus atroces de Corée du Nord : le système des castes, ou Songbun.
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Les intouchables à la sauce nord-coréenne
Retour en 1957, année glorieuse de ce système indigne. Il existe cinq castes en Corée du Nord. Des plus loyales aux plus rejetées, elles sont ainsi nommées : “special”, “nucleus”, “basic”, “complex” et “hostile”. Après la catégorie extrêmement rare que représentent les “special”, les “nucleus” constituent le noyau standard de la population ; les “basic” (ou “wavering” “vacillant” en anglais) sont les premières castes victimes de discriminations ; les catégories “complex” (introduite dans les années 2000) et « hostile » vivent bien sûr les ségrégations les plus désagréables. Seule une catégorie de personnes déroge à ce système : les membres de la famille Kim.
Etablies à la fin des années 1950 sous la houlette de Kim Il-Sung, grand-père de l’actuel leader, les catégories divisent les habitants selon leur rang social et les faits d’armes de leurs ancêtres paternels durant l’occupation japonaise et la guerre de Corée. Bien sûr, ces derniers doivent avoir combattu auprès de Kim Il-Sung durant ces événements, et si possible être restés proches du Leader suprême. Si leur passé révèle un poste de greffier auprès de l’administration coloniale, ou une quelconque participation à un mouvement collaborationniste, c’est cuit. Le Songbun de leurs descendants sera si mauvais qu’ils n’auront jamais l’autorisation de voir Pyongyang. La capitale n’accepte pas les descendants des traîtres.
Le Songbun détermine donc qui est autorisé à se rendre ou non dans la capitale mais aussi le futur métier des Nord-Coréens et leur droit aux études et à l’éducation. Pierre Rigoulot, rédacteur en chef de la revue Histoire & Liberté et auteur de Corée du Nord, Etat voyou (2003), confirme le caractère clivant de ce système :
“Lorsque j’ai étudié le pays, il y avait une division extrêmement précise en une cinquantaine de catégories de citoyens. En bas de l’échelle, on a effectivement du mal à vivre à Pyongyang. De toutes façons, pour entrer dans cette ville si l’on n’y habite pas, il faut un certificat, un laisser-passer expliquant que l’on ne va pas y rester. Sinon, il faut des faux-papiers, ou contourner les contrôles. […] Les réfugiés et les handicapés n’apparaissent pas dans la capitale. Vous ne pouvez pas avoir un pied bot et vous balader dans Pyongyang.”
On couvre d’honneurs ceux qui ont parlé au Leader plus de 20 minutes
Selon une enquête effectuée par NK News auprès d’un ancien membre de la police nord-coréenne, le Songbun attribué à un Nord-Coréen dépend aussi du métier qu’il occupe : fermier, militaire, professeur, policier… Seuls les “membres du parti” ou les personnes “récompensées publiquement” peuvent prétendre aux plus hauts rangs. Est “récompensé publiquement” le chanceux qui a pu parler 20 minutes ou plus au Leader et a pris une photo à ses côtés, selon le site américain.
Le Songbun influence beaucoup de choses dans la vie d’un Nord-coréen. Sans une bonne caste, un citoyen ne peut pas vivre à Pyongyang, n’entrera jamais dans de bonnes universités quel que soit son niveau d’intelligence, ne pourra jamais devenir professeur ou policier. Pour rejoindre les rangs de la police secrète, le prétendant et toute sa famille (jusqu’à la sixième génération) doivent faire partie de bonnes castes.
Peut-on changer de caste ?
Avec des pots-de-vin, mais l’entreprise est risquée, selon NK News. Les inspecteurs en charge de vérifier les « actes » d’attribution notent immédiatement toute incohérence : comment un Nord-coréen pourrait-il faire partie des « nucleus » si sa sœur et son père sont « complex » ? Ces papiers sont précieusement conservés par les bureaux de police locale et secrète.
Toutefois, certains officiers commenceraient à moins tenir compte du Songbun, estimant que juger ou punir une personne en fonction du statut de ses arrière-grands-parents est inéquitable. Tiens donc ? Aujourd’hui, une personne qui a travaillé trois ans au même poste peut changer de caste si le Comité du Parti local le lui concède. D’autres Songbun peuvent aussi être revus à la baisse, selon le site américain, lorsqu’une personne sort de prison, ou que sa famille comporte des transfuges ou des déserteurs – « mais cela reste exceptionnel » précise Pierre Rigoulot.
http://youtu.be/u3YG4HKPAvo
Le capitalisme VS les castes
L’importance d’une caste perd donc de son influence, au fur et à mesure que le pays s’ouvre au capitalisme. Une comparaison à ne pas prendre à la légère selon Pierre Rigoulot :
“Il semble y avoir aujourd’hui un affaiblissement, une simplification des règles des castes. Et il y a toujours eu des tentatives de la part de la Corée du Nord de redonner du dynamisme à son économie, comme en offrant plus d’autonomie aux entreprises de production ou de vente de produits. Mais ce n’est pas du libéralisme, ni du capitalisme, car cela demanderait à la Corée un certain nombre de critères supplémentaires qu’elle n’a pas. Il ne faut pas confondre les ajustements de l’Etat, dans l’espoir de faire mieux fonctionner son économie, avec des ajustements capitalistes. Dans tous les cas, les Sud-Coréens et les Américains continuent d’envoyer de l’alimentaire là-bas, donc les choses ne vont surement pas pour le mieux.
La valeur de la monnaie de Corée du Nord a déjà légèrement augmenté. Si Kim Jong-Un souhaite véritablement réformer son pays et y établir une économie de marché, il sera nécessaire d’abolir le Songbun. Pour l’instant, le changement d’esprit de la Corée du Nord se semble provenir que de l’extérieur selon l’écrivain : « Il y a déjà ces clés USB qui circulent entre les deux Corées ». Un premier pas pour que la culture occidentale et orientale y soit à portée de tous.
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