A Lyon, un couple d’amis organise des soirées une fois par mois dans un pub en l’honneur des roux et des rousses. Objectif: célébrer cette couleur si souvent décriée.
Nous aurions pu titrer cet article « Ivres, ils décident d’organiser des soirées pour les roux », et brouiller un peu plus les pistes avec le Gorafi. Car cette histoire de « Ginger Party » lyonnaise plonge ses racines dans une soirée alcoolisée entre deux amis, l’un français, l’autre anglaise, tous deux roux. Ce soir-là, dans un pub du quartier Saint-Georges à Lyon, Gérald et Alice partagent leurs déboires de rouquins. Surtout Alice, qui a été persécutée, enfant, du fait de sa chevelure flamboyante, jusqu’à être changée d’établissement scolaire par ses parents. Ils en viennent à une commune conclusion : organiser des soirées en l’honneur des roux dans ce même pub. La première a eu lieu le 2 février, la deuxième s’est tenue le 2 mars.
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On se représente alors les prémices d’une association pour les droits des roux, voire les balbutiements d’un parti politique spécial rouquin. Pas du tout, Alice est très claire sur ce point : les Ginger Parties ont vocation à faire la fête, en prenant pour prétexte la célébration des tignasses couleur carotte.
« C’est une grosse blague, pas un moyen de lutter réellement contre une discrimination, précise la jeune femme au téléphone, je ne crois pas réellement au « roussisme » [« gingerism » en anglais, la discrimination envers les roux, ndlr]. Quand tu es enfant, si tu as quelque chose de différent, tu te feras toujours embêter. »
Pas de vocation politique ici, pas d’exclusion non plus : roux ou pas roux, tout le monde est le bienvenu. Sur la page de leur événement Facebook, le duo précise: « Les vrais roux ont bien sûr de bons prix (la vie est déjà assez difficile pour nous)… et ceux qui viennent avec une perruque ou une teinture ont le droit aux petits prix aussi (parce que vous nous faites sentir moins seuls, rien que pour une soirée)… »
« Je veux que les garçons roux se sentent sûrs d’eux et à l’aise avec leurs cheveux en grandissant. »
Si Gérald et Alice tiennent à mettre l’accent sur le côté festif de leur manifestation, d’autres prennent le problème de la discrimination anti-roux plus au sérieux. Comme Thomas Knight, un photographe britannique de 31 ans, qui a réalisé en 2014 une série de photos d’hommes roux, shootés dans des poses sexy et héroïques sur un fond bleu azur.
Alors interviewé par Les Inrocks, Knight, qui a eu du mal à assumer ses propres cheveux carotte, expliquait : « Je veux que les garçons roux se sentent sûrs d’eux et à l’aise avec leurs cheveux en grandissant. » Pour lui, la mauvaise image des roux vient aussi du fait que le cinéma hollywoodien leur donne rarement le beau rôle: « Il y a clairement une décision qui a été prise à Hollywood et qui a créé cette notion selon laquelle il est impossible pour un roux de jouer un héros ou d’avoir le premier rôle car cela risquerait d’attirer seulement un certain public. »
On pense aussi bien sûr au fameux clip Born Free de M.I.A., dans lequel le réalisateur Romain Gavras mettait en scène un génocide ciblant les roux. La vidéo avait fait polémique jusqu’à être retirée de Youtube.
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« Adopter un roux pour voir la vie en orange »
Il faut dire que les groupes Facebook se moquant des rouquin(e)s avec plus ou moins de tact et d’humour sont légion. En 2008, suite à l’appel d’un adolescent canadien à une « journée nationale des coups de pied aux roux » via une page Facebook, plusieurs roux et rousses avaient rapporté avoir été victimes d’agressions physiques. Un an plus tard, un riverain publiait une tribune appelant à mettre un terme « à la discrimination envers les roux » sur Rue89. « Cela devient normal pour certaines personnes que les roux n’ont pas d’âme… Les gens ne considèrent pas cela comme du racisme, il n’y a pas de mal ce ne sont que les roux. » écrivait-il.
Car les blagues sur les roux ont effectivement quitté la cour de récré pour devenir monnaie courante. Ainsi, en 2012, le site de rencontres en ligne Adopteunmec, pas vraiment réputé pour sa délicatesse, lançait une campagne « spéciale poil de carottes », invitant ses membres à « adopter un roux pour voir la vie en orange« .
« Le symbole du Diable »
La même année, Vice rapportait la décision de la banque de sperme internationale Cryos de ne plus accepter de dons de la part de roux, faute de parvenir à les placer. Alors interrogé par le magazine sur la peur ancestrale du roux, Valérie André, auteure de Réflexions sur la question rousse (2007, éditions Tallandier) expliquait que la couleur rouge a toujours été perçue comme « le symbole du Diable »:
« Dans les sociétés judéo-chrétiennes, le roux est associé aux puissances telluriques, aux forces démoniaques. De nombreux amalgames se sont accumulés au cours de l’histoire. Ils sont le socle commun des préjugés que nous avons sur les roux aujourd’hui. Dans la croyance populaire, Judas était roux, par exemple. Forcément, ce n’est pas très bon pour l’image des rouquins. »
Plus tard, aux XVII et XVIIIe siècles, des traités physiognomoniques – qui associent le physique aux traits de caractère – ont rapproché la couleur rousse du renard, et, par voie de conséquence, de ses supposés « traits de caractère », à savoir la ruse, la malice et le vol. « L’homme roux était considéré comme méchant et bagarreur, raconte Valérie André, les personnages de la littérature comme Poil de carotte ou Vautrin dans le Père Goriot ont consolidé ces idées. »
Quant aux Rousses, elles ont, elles aussi, leur lot de stéréotypes collés aux basques : « La rousseur est la preuve qu’elles ont fait un pacte avec le diable, qu’elles ont eu des relations sexuelles avec lui. Elles ont donc un caractère démoniaque, sulfureux et hypersexualisé. » Si les Rousses ne sont plus perçues comme de vilaines sorcières, elles sont souvent encore abonnées, au cinéma, aux rôles de femmes sexy et sulfureuses. Dernier exemple en date: le personnage de Joan Holloway, interprété par Christina Hendricks dans Mad Men. Un tournant a malgré tout été pris ces dernières années, ave la création par Disney de l’héroïne Rebelle, une ado à la tignasse bouclée et couleur feu. Rappelons, tout de même, qu’en 1989, Ariel, la petite sirène – quoique bien plus sexy que Rebelle – arborait déjà une chevelure rouge…
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