Pierre Bayard réécrit « Le Chevalier de Maison-Rouge » de Dumas, Benjamin Black ressuscite Philip Marlowe… Mais un auteur peut-il impunément s’approprier un personnage créé par un autre ?
Certains d’entre nous ont fantasmé sur Gatsby, rêvant d’être conviés à l’une de ses fêtes somptueuses voire plus si affinités ; d’autres se sont épris d’Anna Karénine, caressant l’espoir insensé à la douzième lecture du roman de Tolstoï que, cette fois, leur amoureuse de papier ne finirait pas en bouillie sous les roues d’un train. En vain. L’avantage des écrivains sur le commun des lecteurs est qu’ils possèdent le pouvoir de redonner vie à ces héros dont on se contente de rêver. Pourquoi pas en effet s’approprier un personnage sorti de l’imagination d’un autre pour lui imaginer de nouvelles aventures ou un destin alternatif ? Comme la créature de Frankenstein, il arrive aux personnages romanesques d’échapper à leur auteur, quitte à devenir monstrueux ou du moins méconnaissables sous la plume d’un autre.
Revival
Pierre Bayard, auteur d’essais littéraires iconoclastes comme Et si les oeuvres changeaient d’auteur ?, tente l’expérience. Dans Aurais-je sauvé Geneviève Dixmer ?, il se propose d’entrer littéralement dans le roman de cape et d’épée d’Alexandre Dumas, Le Chevalier de Maison-Rouge, pour sauver l’héroïne qui a fait battre son cœur adolescent. Dans la version de Dumas, la belle Geneviève Dixmer finit sur l’échafaud. Bayard prend la place du héros, Maurice Lindey, pour essayer de changer le cours de l’histoire.
Dans les premières pages où il analyse la complexité d’une telle entreprise, il écrit : “(…) les créatures de fiction peuvent jouer un rôle aussi important dans nos vies que des personnes réellement fréquentées.” Et plus loin : “(…) une oeuvre ne se réduit pas à l’objet matériel qui l’héberge et aux caractères typographiques qui en ouvrent l’accès.” Voilà pourquoi ressusciter un héros de fiction ne s’apparente pas à une simple opération de clonage textuel. Ou alors le personnage n’a pas plus d’épaisseur psychologique que la brebis Dolly. Ce fut le cas de certains James Bond imaginés par les successeurs de Ian Fleming. Si William Boyd a su redonner vie à 007, Jeffery Deaver n’a engendré qu’un ectoplasme d’agent secret.
Ces jours-ci, c’est Philip Marlowe qui est de retour. Le détective culte de Raymond Chandler réapparaît dans un roman signé Benjamin Black (pseudo de l’écrivain irlandais John Banville), La Blonde aux yeux noirs. Tout y est : Los Angeles, la blonde fatale, l’enquête à double fond, les comparaisons saugrenues. Certaines scènes ressemblent à des copier-coller du Grand Sommeil. Mais le Marlowe nouveau n’est que l’ombre de celui de Chandler. Il lui manque l’ironie de l’original, absence qui se fait cruellement sentir dans les dialogues.
L’âme du personnage, c’est l’écriture, le style
L’âme du personnage, c’est l’écriture, le style. Sans cela, il erre désincarné dans les pages d’un texte aux allures de pastiche. Tel un zombie. L’un des derniers remakes littéraires à succès n’est-il pas, d’ailleurs, Orgueil et préjugés et zombies, adaptation parodique de l’oeuvre de Jane Austen ? Les romanciers doivent donc réfléchir à deux fois avant de jouer les docteur Frankenstein. Ou bien nos soirées lecture au coin du feu risquent de muter en nuit des morts vivants.