Sous couvert d’un discours positif et bienveillant envers une jeunesse précaire, la dernière vidéo des Enfoirés témoigne avant tout d’un mépris de classe et d’un culte de la réussite sociale somme toute assez rance. Explications.
D’ordinaire, il est de bon ton et de commune mesure de considérer Les Enfoirés comme une entité ringarde, has-been, complètement à côté de la plaque mais somme toute assez inoffensive. Leurs chansons annuelles, à défaut de provoquer le malaise, délivrent certes régulièrement un discours affligeant de bien-pensance, mais génèrent plus souvent l’hilarité (voire la simple indifférence) que la véritable gêne. En fait, leur ineptie est tellement admise et actée qu’il ne servirait à rien de les attaquer là-dessus, car personne n’est dupe de la supercherie et qu’on ne tire pas sur les ambulances.
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Mais quand le collectif se pique d’ajouter à son discours convenu un zeste d’idéologie réactionnaire, il est permis de penser qu’il y a un ver dans le fruit (lui-même déjà bien assez rance). En cause : leur dernière livraison annuelle, Toute la vie, publiée comme de coutume au milieu de l’hiver. Ne critiquons pas la forme: le titre déroule l’habituel salmigondis de variété balourde et de lieux communs en pagaille – jusqu’ici, rien d’anormal. Mais cette fois, le discours habituellement « rassembleur » se pare d’une charge anti-jeunes d’un conservatisme douteux. Sous couvert d’une leçon de vie qui se voudrait bienveillante à l’égard d’une catégorie sociale qu’elle fait mine d’aimer sans condition (rappelons-le, les Enfoirés ne sont qu’amour), le titre révèle avant tout l’indécence d’un collectif qui marche sur la tête, et ce à plusieurs niveaux.
Outre le paternalisme bon teint que véhiculent des phrases toutes faites du type « j’envie tellement ta jeunesse » ou encore « le temps n’a pas de prix », qui plus est proférées par des artistes comme Pascal Obispo (on croit rêver), se profile en creux un discours assez dangereux faisant l’étalage d’un individualisme élevé en cheval de bataille.
Dans cette vidéo, où l’on peut apercevoir d’un côté Les Enfoirés (qui n’ont d’ailleurs jamais aussi bien porté leur nom), de l’autre une bande de jeunes forcément « vindicatifs », les deux camps s’affrontent dans un échange verbal d’une mollesse qui laisse avant tout pantois. Pour ce qui est du texte, c’est un festival d’aberrations alignées les unes à la suite des autres, et il serait assez vain de les recenser toutes. Des « perles » surnagent néanmoins : lorsque par exemple Amel Bent et Zaz, le poing levé, chantent « tout ce qu’on a, il a fallu le gagner », on ne sait pas si l’on doit rire ou pleurer. Ou encore lorsque les « jeunes » s’enflamment : « vous avez dépensé, raté, pollué », ce à quoi les « vieux » rétorquent : « Je rêve, ou t’as fumé ? ». Ben voyons.
Car au-delà du simple délire gâteux prononcé par des personnes pas si vieilles que ça (oui, c’est bien l’acteur des Choristes que l’on aperçoit un moment, et on ne parle pas de Gérard Jugnot), se dessine en creux un appel au culte de la réussite sociale et du chacun pour soi. D’un côté, ceux qui ont réussi (Jean-Baptiste Maunier, Zaz, Amel Bent : pas exactement des vieillards) ; de l’autre, des jeunes-assistés qui se plaignent sans cesse et qui ne se « bougent pas assez » (on n’invente rien, c’est dans le texte).
Même en occultant l’indécence et la bêtise crasse induites par ce genre d’attitude et de comportement, le relativisme imposé par ce genre de chanson (en gros, « c’est à votre tour de faire vos preuves » – comme si le contexte historique du baby-boom et celui de la crise contemporaine étaient comparables) témoigne au mieux d’une parfaite méconnaissance des problématiques socio-économiques actuelles, au pire d’un cynisme de classe autrement plus dangereux.
Et, à dire vrai, on n’est pas loin d’opter pour la seconde option, au vu de certaines phrases comme « vous avez toute la vie devant vous », qui se muent à mi-parcours en un « C’est la vie » nettement plus ambivalent. Sous couvert d’un discours en apparence positif, Toute la vie prouve que les Enfoirés opèrent à contre-courant de ce qu’ils prétendent défendre, et renvoient dos à dos une jeunesse précaire et une arrière-garde à la position installée et confortable. Super.
En même temps, quand on a un sosie vocal de Jean-Jacques Goldman pour représenter la véhémence de la jeunesse, il y a de quoi se poser des questions sur la crédibilité d’une telle démarche.
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