Dans le deep south français, MOUSSU T explore le cousinage entre chanson provençale et blues américain : c’est John « aïoli » Hooker qui va être content.
En botanique ou en zoologie, on appelle ça un géotropisme. Ainsi, la différence entre un Marseillais et un Strasbourgeois est qu’à fierté égale, le premier aura plus volontiers recours à la chansonnette pour exprimer l’amour de sa ville. Déjà dans les années 30, Vincent Scotto écrivait des classiques comme Tout Autour de La Corniche ou Zou ! un peu d’aïoli à la gloire du bon vivre de la cité phocéenne. Sauf qu’en établissant les canons d’un genre où se vantaient à longueur de rengaines l’insouciance, le farniente et les bienfaits du soleil, Scotto a aussi favorisé l’ancrage d’une image d’Epinal dans l’inconscient collectif, celle du Marseillais blagueur et nonchalant, qui ne tardera pas à calcifier en cliché. Il faudra attendre les années 1980 et l’apparition de deux groupes majeurs, IAM et Massilia Sound System, l’un branché hip-hop, l’autre reggae, pour voir cette représentation, sinon transformée, du moins sérieusement rénovée.
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Moussu T e lei Jovents, c’est 30% de Massilia. Tatou en est l’un des membres fondateurs et l’un des M.C., et Blu le guitariste. En 2003, Tatou et Blu ont enregistré un premier album, Mademoiselle Marseille, avec un percussionniste brésilien, avant d’être rejoints par un batteur, Fred Zerbino, ciotaden comme eux. Car de Massilia à Moussu T, il n’y a finalement que les quarante kilomètres de littoral qui séparent Marseille de La Ciotat, l’une veillant sur l’autre comme le ferait une grande sœur, ou une bonne mère.
L’histoire de La Ciotat a surtout été marquée ces dernières années par la fermeture des chantiers navals, dont la conséquence fut la destruction des repères sociaux. Moussu T e lei Jovents ont d’une certaine manière été la réponse à cette violente mutation, comme le reggae fut la réponse au vide de Trench Town, et le blues à la privation d’espace pour le Noir en Amérique. Blu : « On habite une ville où l’on a fait croire aux anciens des chantiers que la meilleure façon de dépasser leur situation était d’oublier qu’ils avaient été ouvriers. Exactement comme au début du 20è siècle on a voulu faire croire aux noirs des Etats-Unis que pour rompre avec leur condition, il leur fallait oublier qu’ils étaient noirs. »
Sur scène, Moussu T (Tatou) et les Jovents (les jeunes : Zerbino et Blu) se produisent devant une immense photo en noir et blanc d’un chantier naval en train d’être démonté. Image figée d’un cimetière de ferrailles que semble vouloir ranimer cette musique où circulent tous les sangs chauds de la planète Marseille. Tatou : « A l’origine du groupe, il y a une vieille photo des années 20 où l’on voit des musiciens noirs et blancs jouer ensemble dans un bouiboui du vieux port. On s’est posé cette question : « qu’est ce qu’ils pouvaient bien gratter ensemble à l’époque ? » La seule réponse que l’on pouvait apporter était imaginaire et consistait à mettre en ménage des éléments qui appartiennent autant au blues qu’à la chanson provençale. » L’autre point de mire de cette équipée est Banjo, roman de l’écrivain d’origine jamaïquaine Claude Mc Kay qui décrit l’existence de musiciens noirs dans le Marseille à la fin des années 1920. Hasard ou nécessité, au même moment, Blu s’est retrouvé un banjo entre les mains, lui qui n’en avait jamais joué.
Attention : Home Sweet Home, leur 3ème album sorti cet automne, n’est pas différent du second, Forever Polida, déjà proche de Mademoiselle Marseille,le premier. Mais se plaignait-on, par exemple, de retrouver dans Okie de J.J. Cale, ce qui nous avait tant plut dans Naturally et Really, ses devanciers ? Car c’est bien d’un même amour de la chanson d’ébéniste, trademark du vieux moussu de Tulsa, dont nous parle Home Sweet Home, avec ces gigues balancées comme des rocking-chairs (Ma rue n’est pas longue), ces coups de blues qui vous relèvent (Lo chaple), ces invites à rêvasser (Sur Mon Oreiller) et à « coquiner » (Il Fait Beau).
Dans ce laid back à la mode provençale, se reflète évidemment la bienheureuse et éternelle nonchalance dont Scotto se fit le chantre par le passé. Mais que l’on ne s’y fie pas, car il ne s’agit plus tout à fait d’un cliché aujourd’hui. Tout en donnant l’impression de vouloir musarder, Moussu T et lei Jovents réinventent, pour tous, la meilleure façon de vivre sa ville et sa vie.
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