Entre deux bourrasques de neige dans les rues de Prague, apéro (au Coca) avec le candidat le plus barré des élections présidentielles tchèques, couvert de tatouages bleus et virtuose accompli.
On en oublierait presque ses yeux, d’un bleu cinglant. Vladimir Franz, 53 ans, est piqué intégralement, du haut du crâne jusqu’au bas du torse. Son T-shirt flanqué d’un slogan rose « Everything in the right place » découvre ses bras noueux. Sur sa main gauche, le visage de Bohuslav Martinů, un grand compositeur tchèque. Avant d’être poussé par un groupe d’étudiants et d’artistes à se présenter à l’élection suprême, il n’était connu que de l’élite culturelle pragoise.
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Juriste de formation, mais surtout compositeur et professeur de musique à l’Académie des arts dramatiques, il a reçu plusieurs distinctions pour ses œuvres. « Toute ma vie, j’ai essayé de résoudre par l’art des problèmes de société comme les manipulations des médias. Aujourd’hui cela ne suffit plus et je m’engage comme citoyen car la politique s’est trop distancée de la population. » La nouvelle loi électorale permet à tout quidam qui a réuni 50 000 signatures d’être candidat aux présidentielles, les premières au suffrage universel direct. Vladimir Franz en a raflé plus de 88 000. « C’est un candidat canular car son programme est vide mais c’est surtout le candidat de l’internet » estime Michel Perrotino, politologue franco-tchèque.
Journaux et vidéos de présentation mis en ligne, happenings organisés sur les réseaux sociaux, la campagne VFP (Vladimir Franz Prezidentem) menée par une petite équipe de volontaires a été hyper-active. Des fans ont pris le relais, le transformant peu à peu en icône de la culture pop. Sa bonhomie attire au-delà du milieu culturel et étudiant. Dusan est médecin addictologue. Sur la façade de sa ferme familiale, au fin fond de la Moravie, une banderole de soutien au candidat atypique. « Je suis allé le voir lors de sa campagne à Ostrava. C’est quelqu’un de bien, pas corrompu comme tous les autres, mais j’aimerais bien lui donner des cours de communication. Il est vraiment mauvais à la télé. » Le lendemain, Vladimir Franz est invité sur un plateau et ça ne l’enchante pas : « Ils vont encore m’énerver avec leurs questions idéologiques qui n’ont rien à voir avec la réalité. Je n’aime pas ça, c’est mon « contre-devoir », mais je dois assumer mes responsabilités. »
« Le problème dans ce pays, assène Michel Perrotino, est que les gens sont davantage prêts à voter pour un homme bleu sans aucune expérience que pour un Tsigane ». Paye ton symbole. Mais Vladimir Franz, hissé à la quatrième place des intentions de vote lors du dernier sondage en décembre, refuse d’ expliquer ce choix de vie : « Mon jardin secret, qui ne fait pas de moi un homme différent ». Pourtant son équipe joue sur son apparence, distribuant des feuilles de coloriage avec son visage ou relayant d’innombrables caricatures de soutien à la sauce Avatar.
Cette apparence qui comporte ses parts d’ombres : certains affirment qu’il s’est tatoué la moitié du corps pour recouvrir des erreurs de jeunesse. Il ne nie pas avoir traîné avec des skinheads tendance nazillon dans les années 90 mais pour les « influencer dans le bon sens« . « J’ai été naïf » reconnaît-il. Son appartenance au milieu « alternatif » s’arrête là : « J’ai écouté du heavy metal et du punk comme tout le monde mais je ne suis pas de ce monde. J’ai une culture classique européenne. Depuis mes cinq ans, je sais différencier le baroque du gothique et je m’intéresse à la peinture » confie l’artiste qui peint depuis des années, des banquets avec Mickey et des oiseaux explosés sur des pares-brises par exemple.
Et s’il était élu ? « J’irais fleurir les tombes de Vaclav Havel et de Tomas Masarik, les fondateurs de notre démocratie. » Puis il réduirait considérablement les prérogatives du président dans la Constitution. « Je veux montrer aux gens que son rôle est symbolique. Il n’est pas le premier ministre, c’est un ambassadeur des citoyens, indépendant du système des partis ». Alice, étudiante en psychologie, est quand même dubitative :
« Peut-être que le monde considèrera la République Tchèque comme une avant-garde de tolérance, mais je pense surtout qu’on aura l’air de charlots…. Qu’est-ce qu’il va faire avec à sa droite Obama et à sa gauche Merkel ? Jouer du piano ? »
Vladimir Franz a déjà réfléchi à une porte de sortie en cas de défaite : travailler à une mise en scène du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare ou d’une nouvelle de Tchekhov. « Et je chercherais un visage pour que cette société civile reste éveillée« . Après une séance photo improvisée devant l’opéra, interrompue par une dizaine d’appels sur son téléphone génération Snake et quatre pauses-clopes, Vladimir Franz disparaît dans une bouche de métro rejoindre « sa copine et ses deux chiens« .
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