Vic Chesnutt et quelques amis enregistrent dans l’intimité un album indécent et superbe : confirmation d’un génie biscornu. Ça commence comme un blind-test : qui se cache derrière ce pseudonyme farouche ? Le jeu dure exactement trois secondes, le temps d’identifier un des timbres les plus dérangeants et originaux de ces dernières années. Un timbre […]
Vic Chesnutt et quelques amis enregistrent dans l’intimité un album indécent et superbe : confirmation d’un génie biscornu.
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Ça commence comme un blind-test : qui se cache derrière ce pseudonyme farouche ? Le jeu dure exactement trois secondes, le temps d’identifier un des timbres les plus dérangeants et originaux de ces dernières années. Un timbre souvent tordu à force de méchanceté, qui venge ses jambes absentes par des mots terribles, insupportables. La Brute en question est donc Vic Chesnutt, l’homme de fer qui terrifia, cet été, les rediffusions des enregistrements live de Nulle Part Ailleurs. Une vraie teigne, qui aligna avec une cruauté et un humour carnassiers Urge Overkill et les Black Crowes. Deux moments de télévision rares et jouissifs, où les devoirs de réserve et d’hypocrisie partirent chialer la queue entre les jambes. On savait Vic Chesnutt méchant, cruel avec les autres et surtout envers lui-même, s’autohumiliant et s’autodétruisant consciencieusement, avec une flamme franchement indisposante dans les yeux. En France, on ne connaît que Miossec pour être aussi brillamment salaud, pour tenir en haleine (chargée) avec une telle misère instrumentale. Avec sa guitare cabossée, sèche et désaccordée, Vic Chesnutt fait pourtant plus de dégâts que tous les plâtriers américains collés à leurs murs d’amplis Marshall. Sauvé par le don d’une voix en or, comme dirait Cohen, Vic Chesnutt sait pourquoi il est là, accroché à ses six cordes, et sait où il sera le jour où on les lui coupera : chanter prend alors ici d’imposants airs de survie, comme sur-vie, au-dessus de la vie elle, trop moche, trop lamentable dans ce petit fauteuil roulant. Quand les autres écrivent des chansons, s’assoient pour y réfléchir avec sérénité, Vic Chesnutt gribouille salement, avec les doigts, en rotant, boulimiquement. Et face à l’incapacité (technique, commerciale) de sa maison de disques à suivre une telle violence de débit, Vic Chesnutt distribue ses chansons à tout vent, trop bouillonnantes pour le peaufinage ou le sage repos dans les tiroirs. D’où Brute, petite aventure en solo avec quelques amis (sa femme, son producteur John Keane, ses amis de Cracker : David Lowery et Johnny Hickman), histoire de débarrasser le système de quelques montées de venin : « L’autre jour, j’ai entendu la voix de la raison/Elle est entrée par une oreille et est sortie par l’autre » ou, plus loin, « Je ne suis pas assez bon pour vraiment m’amuser à agacer les gens » et encore « Je ne suis pas assez taré/Pour en vivre correctement ». Petit disque médical pour lui une ponction pour empêcher à tout prix l’overdose de bile, l’étouffement par le fiel disque magnifique, indécent et brutal pour nous.
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