Dans la boutique d’en face, Portishead nous avait déjà fait le coup du vrai-faux soundtrack. L’internationale trip-hop possède ainsi en commun ce fantasme inassouvi de créer une musique absolue, dont la géométrie serait à ce point variable qu’elle troublerait par des effets en trompe-l’oreille les frontières les plus rigides. Musique d’ascenseur, musique de film, musique […]
Dans la boutique d’en face, Portishead nous avait déjà fait le coup du vrai-faux soundtrack. L’internationale trip-hop possède ainsi en commun ce fantasme inassouvi de créer une musique absolue, dont la géométrie serait à ce point variable qu’elle troublerait par des effets en trompe-l’oreille les frontières les plus rigides. Musique d’ascenseur, musique de film, musique d’appartement… Et demain, pourquoi pas, musique d’un film tourné dans un ascenseur d’appartement. Car ce qui importe ici, on l’aura vite compris, c’est moins d’illustrer que de déconstruire : le trip-hop puise majoritairement son inspiration dans la musique de film, jusqu’à n’en retenir que la mécanique référentielle, les codes dramaturgiques séquence suspense, séquence baiser passionné, séquence poursuite en voiture et regretter que des débiteurs de pellicule aient eu la mauvaise idée de coller des images sur les symphonies fantastiques de Lalo Schifrin ou de John Barry. Avec Yellow 357, les groupes et DJ’s français du label Yellow Productions débitent une bande sonore qui s’apparente plus à La Séquence du spectateur, à une mémoire estropiée du cinéma via la télé qu’à la noblesse de style des compositeurs d’Hollywood. Comment interpréter, sinon, qu’ils aient préféré sampler la voix doublée de Norman Bates/Anthony Perkins au lieu de l’originale ? En faisant s’entrechoquer sur la pochette l’imagerie glamoureuse de James Bond et la frivolité cabotine de John Woo, les auteurs de ce projet purement fétichiste ont déjà tout montré d’un disque dont l’écoute devient accessoire, qui génère mieux le désir qu’il ne le comble, exactement comme ces soundtracks de série B que les collectionneurs s’arrachent tels les trophées d’une cinéphilie déviante. L’audace limitée des thèmes, leur longueur récurrente et leur exécution mécanique sont avant tout un hommage involontaire à ces Les Baxter et autres, dont le génie décoratif consista à toujours spéculer sur le vide, mais à le faire avec panache.
Christophe Conte
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