Nouvelle gemme venue d’Amérique, l’Anglaise de New York Essie Jain jette un pont plein de grâce entre culture classique et songwritting.
L’Amérique en quête de changement, celle qui rêve d’un présent qui chante enfin, on la fréquente et on l’entend depuis quelques années déjà. Elle s’est incarnée dans une nouvelle génération de songwriters qui a bouleversé le train-train du couplet-refrain. Sufjan Stevens, Andrew Bird, Clare & The Reasons, Robert Gomez, Joan As The Police Woman, White Hinterland ou encore My Brightest Diamond ont ainsi injecté une bonne dose de sang frais dans les veines de la chanson populaire.
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Sans forcément marteler « Yes we can! » à chaque fin de phrase, ces idéalistes, tous entrés dans l’univers de la musique par la porte du conservatoire, croient dur comme fer qu’il est possible de rehausser le niveau général du songwriting américain. A grand renfort de constructions harmoniques savantes, d’arrangements fouillés et de lignes vocales sophistiquées, ils ont posé les fondations d’une autre forme d’écriture, en rupture avec l’esthétique de plus en plus normative de l’indie-rock.
Aujourd’hui, c’est au tour d’Essie Jain, anglaise de naissance mais new-yorkaise d’adoption, d’apporter sa pierre – précieuse et ciselée – à ce bel édifice. De formation classique elle aussi (elle a étudié le chant lyrique, le piano et le violoncelle), elle a conscience de surfer sur une vague qui, à défaut de tout emporter sur son passage, pourrait remodeler peu à peu le paysage sonore américain. « Le climat musical est en train de changer aux USA. Beaucoup de songwriters ont mis à profit leur éducation classique pour devenir leurs propres arrangeurs et utiliser des instruments comme les cuivres ou les bois, qui jusqu’alors étaient condamnés à de la figuration. Je m’inscris moi-même dans cette recherche. »
Il y a quelques mois, on découvrait en léger différé son premier album, We Made This Ourselves, une collection de miniatures acoustiques qu’on devinait composées dans l’intimité protectrice d’une chambre ou d’un salon. Chantant avec l’autorité dont savent faire preuve les timides lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes, Essie Jain compensait l’apparente fragilité de son art par l’expression d’une force intérieure et d’un souffle vocal peu communs. Pour son nouveau disque, The Inbetween, la New-Yorkaise, désireuse de ne pas se transformer en musicienne pour maison de poupée, a voulu franchir un palier et se frotter à la dynamique de groupe. “Comme j’ai longtemps écrit dans la plus stricte solitude, ma musique était plutôt minimaliste. Mais j’ai eu envie de sortir de ma retraite et de prendre plus de risques. J’ai rencontré beaucoup de musiciens différents, avec lesquels il m’a paru naturel d’enregistrer. Il a fallu que m’habitue à leur présence, et ils ont vraiment été parfaits : ils ne m’ont pas marché sur les pieds, m’ont laissé suffisamment d’espace pour que je puisse déployer ma voix. »
Moins glacé que par le passé, le chant franc et fluide d’Essie Jain est le fil directeur d’un disque qui, comme son titre l’indique, navigue entre deux eaux : celles, calmes et profondes, de l’introspection, et celles, plus agitées, de l’ouverture au monde. Alternant des plages lentes, dont l’étoffe instrumentale (piano, cordes) et les accents lyriques semblent emprunter à la tradition du lied (Eavesdrop, Please, Weight Off Me), et des titres plus enlevés (Here We Go, The Rights, Do it), The Inbetween dit bien ce qu’est l’art du songwriting selon Essie Jain : un aller-retour permanent entre l’inconnu et le familier, entre l’esprit de conquête et l’exploration de soi.
« Dans ce disque, il y a des moments de paix et de colère, d’abandon et de triomphe, dit-elle. J’aime nourrir ma musique avec un spectre très large de sentiments. Ça me permet aussi de ne pas me limiter à un genre précis. Cette variété alimente ma passion pour la chanson : tant que je pourrai papillonner ainsi, il n’y a aucune raison que je m’en lasse. »
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