Epluchés, soupesés, emballés, rangés. A peine sortis de l’œuf, les Charlatans ont déjà tout subis. Ricanement, haussement d’épaules, jet de pierre ou carrément insulte mortelle ( Réincarnation du Grateful Dead’), la petite France du rock collet-monté soigne son désarroi par le mépris pauvre d’esprit. Une façon très aigrie de faire payer un succès trop soudain […]
Epluchés, soupesés, emballés, rangés. A peine sortis de l’œuf, les Charlatans ont déjà tout subis. Ricanement, haussement d’épaules, jet de pierre ou carrément insulte mortelle ( Réincarnation du Grateful Dead’), la petite France du rock collet-monté soigne son désarroi par le mépris pauvre d’esprit. Une façon très aigrie de faire payer un succès trop soudain comme si c’était un crime en soi, une manière très peu honorable de se barricader par frousse de l’inconnu. Un réflexe d’auto-défense devant un groupe catapulté porte-drapeau d’un mouvement auquel on se sent étranger mais dont on pressent et redoute le poids, suffisamment pour se sentir menacé. Donc procès en sorcellerie contre ces Charlatans si mignonnets. Trois chefs d’inculpation.
D’abord le chapardage à l’histoire. Comme si beaucoup d’autres, avant eux, avaient passé 60 s, 70 s, 80 s et même 90 s au shaker, en réussissant un mélange ? repiquage et idée ? aussi fluide et léger, aussi moteur. Front court et malice, bestialité sans bêtise, ludisme candide : les Charlatans ne sont pas des maquignons. Rien à voir, bien sûr, avec les familles mode qui viennent régulièrement tenter des putschs minables. L’origine du courant est ici enracinée, on y adhère en conscience mais spontanément. Et qu’on arrête de nous bassiner avec ce mirage confortable qu’est la recherche frénétique de l’inédit et de l’innovateur. Si là était le but, on se serait détourné depuis longtemps. A défaut, on se contentera d’un ton, de tons.
Ensuite l’exploitation d’un grove à œillères passéistes. D’après quelle bible le binaire chéri serait-il plus respectable que leur spirale concassée de morphine dansante ? Plutôt souple et sans lourdeur, maniable et sensible, elle permet la nuance et l’estampillage personnalisé, jusqu’à laisser le spleen et la tumeur mélancolique infecter toute la musique des Charlatans : peut-être l’attache sentimentale qui manque chez Happy Mondays. Et qu’on arrête de brandir la tarte à la crème de la guerre danse contre intelligence, Supremes contre Costello. Ce sont les meilleurs amis du monde.
Enfin l’absence de chansons. Comment les Stones ont-ils commencé, déjà ? Par des albums quasiment sans composition personnelle, par la simple déglutition d’emprunts avec son, dégaine et démarche. Trois attributs dont sont pourvus les Charlatans. La production trop luisante et les barbouillages de Some friendly dissimulent mal leur don du riff ? un morceau autour de deux-trois accords ou éclairs inspirés, comme chez My Jealous God et beaucoup de leurs camarades, comme chez… les Stones ? et de réelles chansons coincées entre instrumentaux rallongés à l’eau, notamment blotties en fin de face b. On redoute malgré tout une tendance à la flemme rampante, qui donnerait raison à tous les mauvais arguments si elle se laissait aller. Qui a dit qu’ils étaient parfaits ?
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Archives du n°26 (nov/ déc 90)
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