Au chevet d’un rap conformiste, Dr Octagon prône la médecine dure : plus infirmier psychiatrique qu’herboriste. Dans le rap, on n’avait jamais vu come-back aussi éblouissant. Peu connu du grand public, Kool Keith est pourtant un fêlé notoire. Ce vétéran du hip-hop fut, à la fin des années 80, un virulent précurseur avec ses Ultra […]
Au chevet d’un rap conformiste, Dr Octagon prône la médecine dure : plus infirmier psychiatrique qu’herboriste.
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Dans le rap, on n’avait jamais vu come-back aussi éblouissant. Peu connu du grand public, Kool Keith est pourtant un fêlé notoire. Ce vétéran du hip-hop fut, à la fin des années 80, un virulent précurseur avec ses Ultra Magnetic MC’s, dont les plus zélés admirateurs s’appelaient Bomb Squad l’équipe de producteurs de Public Enemy ou De La Soul qui composa il y a trois ans une suite à leur Ego trip. Kool Keith, qui aime endosser une multitude d’identités, reflet des différents personnages virtuels qui l’habitent le bonhomme flirte régulièrement avec l’asile , revient cette fois sous le déguisement d’un extravagant gynécologue pour station spatiale baptisé Dr Octagon. Obsédé comme son alter ego de femmes, de science-fiction et de films de série B à tendance gore, ce praticien démoniaque compose des scénarios surréalistes et dérangeants, souvent indécents mais jamais aussi obscènes que le conformisme affligeant de ses concurrents. Cavale aux confins du pur hip-hop, cet album futuriste offre à la fois un catalogue de névroses propres à passionner tous les apprentis analystes et un prodigieux répertoire de pistes expérimentales pour le rap : chaque titre donne à entendre du neuf, de l’audacieux, d’époustouflants aperçus d’un avenir qui s’écrit ici même, au mépris de tout esprit marchand. Ainsi Blue flowers, délicate hallucination grinçante où Kool Keith fantasme une pluie verte et des fleurs bleues du fond de sa chambre d’hôpital psychiatrique, monument empoisonné qui justifie à lui seul l’achat de cet album. Difficile pourtant de le suivre dans tous ses délires, où l’on croise une armada d’infirmières en chaleur, un chirurgien douteux auscultant au marteau, quelques extraterrestres, un robot, un serial-killer et toute une ménagerie de créatures étranges, poétiques (un crocodile violet), grotesques (un babouin aux ailes de buffle) ou terrifiantes (un requin à tête et bras humains). Le légendaire phrasé versatile de Kool Keith, particulièrement remarquable sur No awareness, Dr Octagon et On production, épouse l’humeur de ses récits, à l’instar des climats musicaux schizophrènes ajustés sur mesure grâce aux arrangements subtils d’Automator, connu pour son travail avec DJ Shadow et le label Ubiquity. Mais ce sont les scratches d’une précision chirurgicale (notamment le tour de force époustouflant de Visit to the gynecologist) qui dynamisent et rythment en profondeur les explorations de ce brûlot hors norme. Normal puisque DJ Q-Bert est le plus grand scratcheur de la planète : DJ champion du monde de 1991 à 95, sa dextérité lui a valu d’être banni de toutes les compétitions internationales. « Le rap atteint le troisième millénaire : ouvrez les yeux et suivez ma lumière » : ce docteur est peut-être dérangé, mais le rap, ce patient anémié, lui doit une fière chandelle.
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