Les soupçons de collusions entre Manuel Valls et le “lobby juif” ne datent pas des récentes déclarations de Roland Dumas. L’extrême droite s’en est fait une spécialité depuis 2011.
Manuel Valls “sous influence juive” de sa femme ? C’est ce qu’a affirmé Roland Dumas, l’ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand, ce lundi matin sur BFMTV. “Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas le dire ?”, a insisté l’ancien président du Conseil constitutionnel. Cette accusation n’est pas nouvelle, bien qu’on ne l’ait jamais entendue dans la bouche d’un socialiste auparavant. Depuis plusieurs années l’extrême droite et la complosphère en ont fait un leitmotiv. Des sites comme Égalité & Réconciliation ou Fdesouche s’en sont fait l’écho.
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Cet acharnement n’est sans doute pas étranger au fait que Manuel Valls s’en soit pris, en tant que ministre de l’Intérieur puis Premier ministre, à la sphère nationaliste d’extrême droite. En 2014, il a dissous L’Œuvre française après la mort de Clément Méric, puis a porté plainte contre Dieudonné pour “injure publique” la même année. En septembre 2013, Manuel Valls avait également fait polémique en niant le terme “islamophobie” − pendant de l’antisémitisme − à l’instar de l’essayiste Caroline Fourest, affirmant qu’il était le “cheval de Troie des salafistes”. Ces actions ont fait de lui une cible de choix pour l’extrême droite. Le procès en “complot juif” n’a pas tardé à le frapper.
Une vidéo polémique lancée par Oumma.com
Le point de départ de l’accusation de complicité avec Israël réside dans la vidéo d’une interview sur Radio Judaïca datant du 17 juin 2011, dans laquelle Manuel Valls affirme : “Par ma femme, je suis lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël”, en référence à son remariage en 2010 avec Anne Gravouin, violoniste d’origine juive d’Europe centrale.
http://www.youtube.com/watch?v=xRrOBE3OerI
“Nous avions reçu Manuel Valls dans le cadre d’une conférence, raconte Patrick Cohen, président de Radio Judaïca [l’homonyme du présentateur du 7-9 sur France Inter, ndlr]. C’était en pleine campagne présidentielle : deux mois plus tôt, un juif s’était fait agresser à Strasbourg. De passage en Alsace dans le cadre d’une réunion de Terra Nova, Manuel Valls avait accepté de faire un crochet au centre communautaire juif de Strasbourg. Durant deux heures, il avait répondu à nos questions. Manuel Valls avait fait face à de nombreuses questions, parfois désagréables. Il y avait répondu avec force. Il avait notamment piqué une colère contre Michel Rocard. Et lorsque le sujet de la relation entre le Parti socialiste et Israël est arrivé sur la table, il s’était emporté. Manuel Valls avait fait un long discours qui visait à démontrer que le PS était loin d’être anti-israëlien et, à un moment donné, il avait évoqué sa femme. Il savait qu’il était filmé, une caméra avec un trépied était située en face de lui mais il ne se rendait pas compte que ce passage serait par la suite coupé et décontextualisé par le site Oumma.com afin de lui nuire. Aujourd’hui des centaines de sites l’ont relayée et nous ne sommes pas parvenus à stopper sa diffusion. »
“C’est une question de pouvoir et d’argent”
Dès sa nomination au ministère de l’Intérieur, cette vidéo est abondamment relayée sur le web pour discréditer la politique menée par Manuel Valls place Beauvau. Les journaux d’extrême droite ne sont pas en reste et l’hebdomadaire antisémite Rivarol en fait sa tête de turc. “À partir de 2012, c’est vrai que nos critiques ont été plus vives contre lui, reconnaît son directeur de publication, Jérôme Bourbon. Pour faire carrière, il faut prendre des positions pro-israéliennes, c’est une question de pouvoir et d’argent. »
Cette posture n’étonne pas Nicolas Lebourg, historien spécialiste des droites radicales : “Dans la logique d’extrême droite, tu dois tout au complot juif lorsque tu accèdes à des postes de pouvoir, c’est une logique circulaire. La preuve que le complot est tout puissant, c’est que tous les puissants participent au complot. C’est une vieille antienne depuis la publication de La France Juive d’Édouard Drumont.”
La polémique a été relancée au début de l’année 2014 quand Manuel Valls porte plainte personnellement contre Dieudonné pour “injure publique”. Valeurs Actuelles affirme alors dans un article daté du 30 janvier 2014 :
“De nombreuses sources, place Beauvau, attestent du ‘jusqu’au-boutisme’ d’Anne Gravoin, elle-même membre de la communauté juive, dans la lutte contre l’humoriste controversé. Une influence qui expliquerait que Manuel Valls ait mis tout son poids dans un combat pourtant loin d’être prioritaire.”
Le site Boulevard Voltaire relaie l’information pour dénoncer la partialité de Manuel Valls et son acharnement jugé suspect contre Dieudonné. L’idée atteint même le footballeur Nicolas Anelka qui, dans une interview à Metronews en avril 2014, reprenait la rumeur à son compte. Interrogé sur le combat mené par Manuel Valls contre Dieudonné, il répondait : “Il n’est pas très méchant ! Je pense plutôt qu’il a été sous l’influence de sa femme sur cette affaire de quenelle.”
La révélation choc du best-seller de l’extrême droite
Emmanuel Ratier, ex-rédacteur en chef de Minute et véritable historien de la mouvance nationaliste, enfonce le clou à la fin du mois d’avril 2014 dans un livre publié aux éditions Facta, Le Vrai Visage de Manuel Valls, éloquemment sous-titré : “Lié de manière éternelle à la communauté juive et à Israël ?” Durant des semaines, l’ouvrage a culminé en tête des ventes sur Amazon. Sa principale attaque ? Le fait que Manuel Valls soit passé du statut d’“ardent militant anti-sionniste et pro-palestinien durant 25 ans” à celui d’”ami d’Israël”, peu avant son mariage avec Anne Gravoin en juillet 2010.
Contacté, Emmanuel Ratier explique avoir insisté sur cet épisode pour montrer “son opportunisme et son revirement idéologique dans ce sujet comme sur d’autres”. Il précise toutefois : “Je n’ai aucune preuve de l’influence de sa femme dans son revirement géopolitique. Elle est inconnue de la communauté juive, ce n’est pas quelqu’un qui va à la synagogue ou qui est militante pro-israélienne. Je constate simplement que Manuel Valls était très anti-sionniste par le passé et qu’aujourd’hui il est très favorable à Israël. »
Dieudonné trouve l’ouvrage “passionnant”. Égalité & Réconciliation, le site de l’idéologue antisémite Alain Soral, saute sur l’occasion pour mettre en évidence le “retournement d’alliance” de Manuel Valls. Aujourd’hui, le même site relaie les propos de Roland Dumas en rappelant ceux de Manuel Valls sur Radio Judaïca. « Il est logique que sur certains sites, notamment E&R, les propos de Roland Dumas soient repris, estime l’historienne spécialiste du négationnisme Valérie Igounet. Leur nature s’inscrit dans une histoire traditionnelle de l’antisémitisme, véhiculant notamment la prétendue influence juive. Cela va sans doute être récupéré, cité et approuvé par la vieille extrême droite française. Je pense notamment à l’hebdomadaire Rivarol. »
« Le vieux mécanisme de la culpabilité par association »
En plein cœur de l’affaire Dieudonné au mois de janvier 2014, Jean-Marie Le Pen ira même plus loin dans l’allusion complotiste. Dans son “journal de bord”, un blog vidéo où il commente l’actualité avec force et bons mots, Jean-Marie Le Pen, qui fut par le passé condamné par la Justice pour “antisémitisme insidieux”, assure que, lorsque le ministre de l’Intérieur évoque dans sa circulaire « la notion de troubles à l’ordre public, c’est probablement parce qu’il a déjà préparé des agressions des séances humoristiques de Dieudonné avec des petites bandes : les jeunesses israéliennes […] ou la Ligue de défense juive”.
“C’est un argument facile contre lequel il n’existe pas de riposte rationnelle, analyse Jean-Yves Camus, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès (ORAP). On ne ne peut pas demander à un politique comme Manuel Valls qu’il fasse un communiqué pour dire qu’il pense indépendamment de sa femme. Il subit le vieux mécanisme de la culpabilité par association. Comme on ne peut pas lui reprocher des actions ou des déclarations concrètes, on l’attaque par ce biais. Alain Soral, Dieudonné ou Jean-Marie Le Pen ne disent pas autre chose que Drumont. Dans le fond, pour eux, un Premier ministre de la France ne peut pas être juif ou marié à une juive.”
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