Au mieux, nous avons tous ignoré les affreux Silverfish. Au pire, nous les avons justement détestés. Ca tombe bien, leur chanteuse aussi. A 30 ans, l’adorable Lesley Rankine remballe sa colère (feinte) pour faire briller Ruby, invention musicale aux multiples facettes, aussi fastueuse que grisante. Des esseulés qui cassent du sucre sur le dos de […]
Au mieux, nous avons tous ignoré les affreux Silverfish. Au pire, nous les avons justement détestés. Ca tombe bien, leur chanteuse aussi. A 30 ans, l’adorable Lesley Rankine remballe sa colère (feinte) pour faire briller Ruby, invention musicale aux multiples facettes, aussi fastueuse que grisante.
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Des esseulés qui cassent du sucre sur le dos de leurs anciens compagnons de groupe, on en a entendu quelques-uns. Normalement, bon sens et clairvoyance n’ont pas droit de cité dans leur discours : on se chamaille comme des gosses, on se renvoie généreusement les responsabilités du divorce, après quoi on se crêpe le chignon pour obtenir la garde du nom. Chez Silverfish, l’ancien groupe de Lesley Rankine, rien de tel. La séparation fût nette, hygiénique. « Je leur ai dit que je n’avais plus envie de chanter pour eux. Que leur musique commençait sérieusement à me gonfler et que j’avais besoin d’aller voir ailleurs. C’est tout. » S’il y a de la haine dans ces propos, alors elle est soigneusement cachée, camouflée sous un sourire enchanteur et une douce indolence. Celle qui fut pendant quatre ans le fervent porte-drapeau d’un des groupes les plus radicaux d’Angleterre parle aujourd’hui de ses anciens compagnons d’armes avec la sagesse d’une vieille femme. Sans rancœur ni perfidie. Durs, ses mots le sont certainement, mais dans les sobres limites du respect et de la considération. « Les gens de Silverfish savent parfaitement ce que je pense d’eux, je leur ai dit sans essayer de fuir la confrontation. Je suis très fière de ce que nous avons réalisé ensemble, mais moi, j’avais besoin d’aller de l’avant alors que le reste du groupe aurait pu se contenter de faire du surplace pendant les dix années à venir. Je crois qu’il est extrêmement difficile d’être créatif lorsqu’on évolue au sein d’un groupe. Il faut toujours faire des concessions, prendre sur soi. Il y a longtemps que lésons ont cessé déformer des groupes pour aboutir ensemble à des créations dont ils auraient été incapables seuls. La plupart des musiciens forment des groupes pour exister socialement, avoir despotes avec qui déconner et boire, pour pouvoir se taper toutes les minettes qu’ils ne pourraient pas se taper sans leur statut minable de musicien rock. Ce genre d’attitude ma toujours dégoûtée. Moi, je voulais jouer dans un groupe pour apprendre, donner des concerts, devenir une meilleure chanteuse. Pas pour me faire sauter. »
II y a deux ans, alors quelle aurait pu se contenter d’une gloire underground au sein du petit monde hardcore, Lesley Rankine quittait donc l’univers peu délicat de Silverfish pour tenter de se reconstruire un espace d’apprentissage musical, ce quelle appellera son « atelier ». Pour changer radicalement d’atmosphère, elle part même s’installera New York, « surtout pour ne plus avoir à supporter la tronche de ces connards de conservateurs à la télé anglaise. Je ne comprends pas les Anglais : tout le monde râle contre la droite mais tout le monde vote pour elle ». A peine arrivée sur le territoire américain, elle fait l’acquisition d’un sampler, d’un ordinateur, et commence à expérimenter. Elle passera également d’interminables nuits blanches sur les textes qui deviendront les poèmes étranges de l’album Salt Peter. « J’écris depuis que je suis gamine. J’ai toujours vu dans l’écriture un moyen formidable de communiquer avec les autres, même avec les gens très proches de moi. C’est beaucoup plus simple que la parole, certainement moins direct mais tellement plus précis et profond. A ce niveau, l’expérience Silverfish fut également un échec. Tout le monde parlait de la violence de notre musique, de son prétendu nihilisme. Rares sont les gens qui étaient attentifs à mes textes. »
Grâce à Ruby, les mots de Lesley ne passeront plus inaperçus, la musique qui les porte investissant désormais des formes souples et généreuses, laissant un large espace à la voix. Des formes qui ressemblent d’ailleurs étrangement à Lesley, elle qui joue avec science du charme sournois de l’embonpoint. Avec sa bobine de grande gamine et ses cheveux teints en bleu, on pourrait la croire tout juste sortie d’une institution scolaire pour jeunes filles à problèmes. Il serait difficile de se tromper davantage :pour commencer, elle affiche derrière des traits angéliques une robustesse et une assurance qui feraient pâlir Courtney Love de jalousie; ensuite, si problèmes il y a eu- manque de confiance en soi, difficulté à communiquer -, ils ont été réglés depuis belle lurette. « Je pense avoir trouvé un certain équilibre, en particulier grâce à la musique et à cette énergie, cette foi en soi que les concerts demandent. J’ai grandi dans un milieu assez dur, dans le nord de l’Ecosse, un coin où il faut vite apprendre à se débrouiller seule et à se faire respecter. On a dit que j’étais une fille plutôt dure, rebelle, presque violente. En réalité, la majorité des filles de ma région sont comme moi, mais pas par plaisir, par nécessité… Aujourd’hui, je suis assez solitaire, pas le genre de personne à tout raconter à tout le monde. Ça vient probablement de mon éducation. Pour autant, je ne pourrais pas travailler en solo intégral. Je ne crois pas qu’on puisse donner son maximum en se refermant entièrement sur soi-même. «
Ruby, ce sera donc l’addition du talent rare de Lesley Rankine et d’invités passagers. Après avoir mis son premier album au monde avec l’aide de Mark Walk, qu’elle a rencontré en collaborant à la production d’un album de Pigface, elle se verrait bien travailler dans un avenir proche avec l’incontournable Tricky; mais aussi avec des personnalités aussi diverses que les Beastie Boys ou Trent Reznor de Nine Inch Nails. Malin celui qui pourrait dire de quoi sera fait l’avenir discographique d’un groupe hybride, piloté par un cerveau trop futé pour se contenter de lendemains rationnels. « J’ai besoin de me confronter à des points de vue divergents, mais exposés de manière intelligente, constructive. En cela. Mark Walk était parfait. Il est très attaché aux valeurs classiques de l’écriture, à la musique pop, alors que moi je suis un peu fofolle. Nous avons bossé comme des dingues : lui pour tenter de me rejoindre dans mes expérimentations absurdes, moi pour l’écouter lorsqu’il me parlait de couplets et de refrains. » Seattle, capitale mondiale de la guitare sale. C’est là que Lesley a façonné Ruby, poli les diverses facettes d’une musique inspirée de tous les genres en vogue -pop, rock, dance, trip-hop- sauf précisément de la spécialité locale, le grunge. De Seattle, elle n’aura d’ailleurs pas vu grand-chose. Un peut studio au nom pittoresque, Mommy s C**t – à quand un studio parisien nommé La Ch***e à Maman ?-et un petit appartement au-dessus. « Il y a sept mois de travail sur ce disque. Par fois, nous ne sortions pas de notre terrier pendant trois jours d’affilée, une vraie retraite spirituelle. Je savais que je jouais gros avec ce disque, que si je voulais me reconstruire une vie artistique cohérente, je devais me donner à fond. Il y a quelques passages sur le disque où l’on sent vraiment que je joue ma peau. »
Passionnée, exigeante, parfois rugueuse, la musique de Ruby affiche en effet un petit air de va-tout, rappelant en cela les débuts fulgurants de Björk où de sa cousine rock PJ Harvey- sans pour autant atteindre le même niveau de maturité spontanée. Comme ses illustres aînées avant elle, on sent Lesley Rankine avide de découvertes, prête pour le grand saut. Construites sur lin solide tapis d’instrumentation électronique, des chansons comme Tiny meat et Hoops refusent les conventions les plus robustes – ici, la voix démarre quand bon lui semble – sans pour autant se fâcher avec le monde des guitares. Du rock, Lesley Rankine aurait donc gardé une certaine rigueur, un sens affirmé du réalisme. Ce à quoi l’Ecossaise mêlerait désormais un goût du risque, du hasard, appris dans le monde virtuel de la musique électronique. Idéalement entourée ? le label Creation paye pour ses disques, le manager de Suede veille sur elle -, elle peut donc raisonnablement envisager des lendemains dorés. D’ailleurs, son premier 45t, Paraffin, est déjà un petit tube outre-Manche, un de ces morceaux qu’on entend régulièrement sur les ondes spécialisées et dont on sait qu’ils sont promis à un bel avenir. On ne serait pas surpris d’entendre les radios d’ici prendre le relais. « Je peux me tromper, mais j’ai l’impression que la musique de Ruby a une dimension internationale, ouverte sur le monde, qu’elle ne s’adresse à personne en particulier mais à tous en général. Mais bon, là, je parle comme une vieille hippie pénible. »
Pas sûr : une session radio chez Bernard Lenoir et un
passage attendu aux prochaines Transmusicales de Rennes lui ouvriront bientôt les portes de la notoriété hexagonale. En attendant, Lesley Rankine et les musiciens quelle vient de recruter sont enfermés dans un studio de répétitions de Londres, se préparant à affronter le monde. « J’ai toujours su ce que je voulais, toujours été ce qu’on appelle une grande gueule, pas le genre de fille à s’écraser bêtement. Pour autant, je ne passe pas ma vie à faire la révolution. J’ai étalement un côté très doux, très petite fille, que je n’ai jamais cherché à cacher. J’espère que ces deux éléments seront apparents sur scène. Avec Silverfish, nous ne traitions plus que de la laideur, du bruit, de la violence. Maintenant, je vais me battre pour véhiculer avec Ruby des éléments comme la beauté, le charme, la sensualité, la féminité. C’est sans doute moins facile que d’être moche et bruyant, mais c’est beaucoup plus gratifiant. »!
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