De nouvelles séries – « Looking », « Cucumber »… – ont permis à une génération montante d’acteurs et d’auteurs gays de s’affirmer comme tels. Faire jouer des homos par des homos, l’air de rien, c’est une révolution.
Billy Crystal en a marre. L’ex-partenaire de Meg Ryan dans Quand Harry rencontre Sally (Rob Reiner, 1989) trouve sa télé beaucoup trop gay : “C’est trop pour moi. Quand ça ressemble à quelque chose comme : ‘Tu vas aimer mon style de vie’, quel qu’il soit, ça me pose un problème”, a-t-il lâché lors d’une récente conférence de presse en marge d’une réunion de la Television Critics Association.
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Dans le collimateur du comédien, des séries comme Girls et How to Get away with Murder. Tollé général sur le web. L’acteur, qui incarnait pourtant un des premiers personnages homos de la télévision américaine dans la série Soap (1977-1981), est obligé de revenir sur ses propos : “Ce que je voulais dire, c’est qu’à chaque fois que le sexe ou la nudité de tout type (homo ou hétéro) est gratuite par rapport à l’histoire, c’est un peu trop à mon goût.” N’en déplaise à Billy Crystal, la télé américaine est bel et bien en train de réussir sa petite révolution queer.
Hier, rares et souvent confrontés à des problématiques primaires telles que le sida, l’homophobie ou le coming-out, les nouveaux personnages gays de séries gagnent désormais en profondeur et incarnent des psychologies plus complexes que leur simple homosexualité. Avec Looking, diffusée sur HBO, on suit les destinées sentimentales entremêlées de trois trentenaires gays à San Francisco. Dans Empire, la nouvelle série de la Fox, Jussie Smollett interprète le rôle de Jamal, un jeune Noir gay qui veut faire son coming-out dans le milieu réputé homophobe du hip-hop et du r’n’b. Et le personnage le plus captivant de How to Get away with Murder est sans doute celui de Connor, jeune, gay, étudiant en droit, arriviste et à la sexualité épuisante.
L’augmentation du nombre de personnages gays à la télévision fait depuis des années l’objet d’un bras de fer entre les networks américains et les associations LGBT. Depuis près de vingt ans, l’association Gay & Lesbian Alliance Against Defamation (Glaad) effectue un lobbying intense auprès des networks pour favoriser l’éclosion à l’écran de rôles de gays, lesbiennes ou trans :
“Ça fait dix-neuf ans que nous suivons la présence des personnages LGBT à la télévision, explique Max Gouttebroze, analyste média de l’association. Il y a huit ans, nous avons commencé à évaluer les networks en nous fondant sur la quantité et la qualité de la présence de ces personnages durant les prime times dans un rapport que nous publions chaque année. Il y a huit ans, c’était désespérant. Sur la Fox par exemple, on comptait à peine 6 % des programmes à l’antenne comportant une présence LGBT. L’année dernière, on était à 36 %.”
La méthode Murphy
Ryan Murphy est l’homme qui a sans doute le plus contribué à cette évolution. A 49 ans, cet ex-journaliste reconverti dans l’écriture est l’un des showrunners les plus influents de la télévision américaine. On lui doit des séries comme Nip/Tuck, Glee ou American Horror Story. Ouvertement gay, Murphy défend dans ses séries une politique très inclusive en matière de visibilité LGBT. Une responsabilité que le scénariste prend très à cœur, convaincu du pouvoir du petit écran sur la société américaine :
“J’étais à une levée de fond chez Rob Reiner et je parlais à deux avocats qui se battaient contre la Proposition 8 (proposition d’amendement à la Constitution de l’Etat de Californie visant à interdire le mariage entre deux personnes du même sexe – ndlr), nous explique Murphy. Quand je leur ai demandé ce qui, selon eux, avait fait basculer l’opinion publique en faveur du mariage pour les couples homosexuels ces quatre dernières années, ils m’ont répondu en chœur : la télévision.”
La méthode Murphy consiste à habituer le téléspectateur à une plus grande nuance de sexualités et de genres. Dans ses séries, il organise une présence chorale de personnages gays, bi ou transgenres, comme autant de façons de vivre sa sexualité. Au fur et à mesure des saisons de Glee, des cheerleaders bisexuelles côtoient des professeurs ou camarades trans. Dans The New Normal, Murphy racontait les difficultés d’un couple homo désireux de fonder une famille. Lors d’un épisode mémorable d’American Horror Story, le scénariste place l’Amérique face à ses méthodes passées en mettant en scène une thérapie par aversion pour guérir l’homosexualité d’une journaliste lesbienne incarnée par Sarah Paulson.
Des gays, joués par des gays
L’autre tour de force de Murphy réside dans ses choix de casting. Il revendique de choisir des acteurs gays et connus comme tels pour interpréter des rôles d’homos. A Hollywood, ces rôles ont la réputation d’être un excellent moyen pour les acteurs hétéros d’attirer l’attention de l’académie des oscars – de Tom Hanks dans Philadelphia (oscar 1994) à Jared Leto dans Dallas Buyers Club (oscar 2014), en passant par Sean Penn dans Harvey Milk (oscar 2009). Une partie de la presse américaine s’est alors demandé si les rôles de personnages gays ne sont pas en train de devenir les nouveaux blackfaces du cinéma, en référence à ces acteurs blancs qui, du XIXe siècle au début du XXe, jouaient, au théâtre, des Noirs en se maquillant le visage avec du cirage. Faire jouer des homosexuels par des homosexuels, l’air de rien, c’est une révolution.
Chris Colfer campe un lycéen dingue de son petit copain dans Glee. Dans The Normal Heart (également produite et réalisée par Ryan Murphy), l’adaptation télé de la pièce de Larry Kramer sur les débuts de l’épidémie de sida dans les années 80, Jonathan Groff, Jim Parsons et Matt Bomer jouent tous des rôles d’homos confrontés à la maladie. Tous ces comédiens ont en commun d’être les visages publics d’une homosexualité assumée au grand jour.
https://www.youtube.com/watch?v=_SUPoijkjOQ
Certains, comme Neil Patrick Harris (How I Met Your Mother) ou Matt Bomer, sont pères de famille et mariés à leur compagnon. D’autres, comme Zachary Quinto (le Spock du Star Trek de J. J. Abrams) ou Jonathan Groff (héros de Looking), assument régulièrement leur boyfriend dans la presse people ou sur les tapis rouges. Un acteur gay dans la vie interprète-t-il de façon plus intime, plus documentée, un personnage gay dans une fiction ? Il serait abusif d’en faire un dogme, mais ce fut l’intuition de Lena Dunham lorsque, pour la première saison de Girls, elle a imaginé un personnage gay inspiré d’un ex-petit ami :
“J’ai eu un petit copain au lycée qui plus tard s’est révélé être gay. Quand j’ai commencé à écrire la première saison, j’avais totalement calqué le rôle d’Elijah sur cet ex. Puis lors des auditions, on a rencontré Andrew Rannells. On a tout de suite connecté, mais il avait un profil très différent du personnage que j’avais imaginé qui était beaucoup plus dans le placard. Quand on voit Andrew, je crois que personne n’est surpris de savoir qu’il est homo ! Le personnage d’Elijah s’est peu à peu développé à partir de la personnalité très extravertie d’Andrew.”
Pour Michael Lannan néanmoins, le créateur de Looking dont une grande partie de la distribution est gay, le fait qu’un acteur soit lui-même homo ou hétéro ne fait pas grande différence :
“Quand on a fait les castings, on voulait surtout trouver des acteurs incarnant des versions sincères des personnages. Les comédiens gays comme Jonathan Groff ont vraiment à cœur de raconter de nouvelles histoires sur l’intimité, notamment érotique, des relations homosexuelles. Mais certains acteurs de Looking ne sont pas gays – et ils apportent autant de passion à leurs personnages. La meilleure scène de bouffage de cul de la première saison est l’œuvre d’un acteur hétéro !”
Murray Bartlett, l’un des héros de Looking, le quadra à moustache, ressent lui aussi une grande proximité avec Dom, son personnage : “On est pareils. Je me reconnais dans ses difficultés. Celle d’un homme gay entrant dans sa quarantaine. C’est à la fois effrayant et excitant.” Mais il ne fait pas de l’identité entre la sexualité d’un acteur et celle de son personnage une clé déterminante pour le jeu :
“Il y a des avantages à jouer un personnage avec lequel vous partagez un terrain commun. Mais, au-delà de la sexualité, je pense qu’on est tous dirigés par les mêmes besoins, les mêmes désirs, peurs ou espoirs. Entrer dans la peau d’un personnage, c’est aussi découvrir ce point d’universel, décloisonner ce qui nous sépare de celui que l’on doit interpréter.”
Des acteurs aux auteurs
Si un certain nombre de personnages homosexuels restés dans les mémoires furent interprétés par des acteurs hétéros (exemplairement ceux de Brokeback Mountain), c’est aussi possiblement parce que les comédiens homosexuels ont longtemps subi une pression (de leurs agents, du système hollywoodien…) pour dissimuler leur homosexualité. Interpréter un gay comporterait alors un risque (d’être ensuite catalogué dans ce type de rôles, voire ne plus avoir accès à des rôles d’hétéros) plus grand pour un acteur homo.
Symptôme étonnant de cet a priori voulant qu’un comédien gay ne soit plus crédible en hétéro si son homosexualité est connue : en 2012, l’écrivain Bret Easton Ellis, travaillant sur l’adaptation cinéma du roman soft porn Cinquante nuances de Grey, avait dénié à Matt Bomer la possibilité d’incarner le personnage principal sous le prétexte que l’acteur est publiquement homosexuel. Dans Newsweek, le critique américain Ramin Setoodeh avait jugé “improbable” la prestation de Jonathan Groff dans le rôle du petit ami de Lea Michele dans la série Glee. Ajoutant que celui-ci aurait mieux fait de jouer Kurt (le gay de la série).
Malgré ces conservatismes, les networks semblent aujourd’hui très attachés à ces questions de représentativité. Et aussi d’expertise personnelle. Jusque dans le choix des auteurs attachés aux séries LGBT. Après une première saison acclamée par la critique, les producteurs ont exprimé leur souhait d’employer une scénariste transgenre pour écrire la saison 2 de Transparent. Pour Looking :
“C’est vrai que le pool de scénaristes est principalement gay, nous explique Michael Lannan, son créateur. Dans le processus d’écriture, cette proximité nous permet de nous lâcher, d’aller plus loin dans l’exploration de la sexualité de nos personnages, de partager des anecdotes extrêmement intimes, honteuses ou très sombres et de voir si on peut les exploiter pour la série. Du coup, aujourd’hui, on en connait un rayon sur la libido et les pratiques sexuelles de chacun d’entre nous !” (rires).
Looking, saison 2, sur OCS City
Girls, saison 4, sur OCS City
Glee, saison 6, sur OCS Max à partir du mois de mai
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